• Les écrivains en devenir voient généralement d’un sale oeil les donneurs de conseils, et sont prêts à tremper dans un bain d’acide tout inconscient qui oserait leur suggérer la moindre modification dans une  prose assurément coulée dans le bronze.
    Une anecdote récente tend à relativiser le bien fondé d’un position aussi radicale.

    Beaucoup d’entre vous connaissent probablement Raymond Carver, noveliste américain, réputé pour sa “sécheresse” d’écriture : les faits, rien que les faits, sans psychologie envahissante ni pathos échevelé. 
    En 1981, Carver sort un de ses plus fameux recueils, “Parlez-moi d’amour”, qui va rapidement rencontrer le succès, autant public que critique.
    Cependant l’exhumation en 2010 de la version “originale” du livre va apporter un nouvel éclairage, totalement inédit et contradictoire, avec l’image de l’écrivain “minimaliste” que l'on connaissait jusqu’à présent. 
    Ce qui intrigue, tout d’abord, c'est la différence de pagination : 336 pour “Débutants”, 192 pour “Parlez-moi d’amour”. C’est qu’entre les deux versions s’est opéré un sérieux dégraissage. Carver aurait-il revu le manuscrit à tête reposée et de lui-même mis sa prose au régime sec avant publication ? La réponse est plus étonnante : un homme, Gordon Lish, éditeur de son état et à l’époque personnalité très écoutée du New-York littéraire, s’est occupé du travail, allant jusqu’à réduire de 78% le texte initial (dans la nouvelle “Où sont-ils passés, tous ?”, par exemple). En somme, il déshabille les textes de tous leurs oripeaux pour ne laisser que la structure nue. Que pense Carver d’un tel traitement ? Sa position est ambivalente. D’un côté il sait qu’il doit son succès à Lish, qui l’a soutenu à une époque où il était inconnu (et alcoolique). D’un autre, il ne se reconnait plus dans ses textes, et en ressent une véritable souffrance.
    Quoiqu’il en soit, Carver a poursuivi dans la même veine jusqu’à la fin de sa vie. Il fut baptisé “Pape du minimalisme”, et il était mieux placé que quiconque pour goûter toute l’ironie induite dans cette appelation.
    Donc, écrivain en devenir qui me lisez, vous savez ce qu'il vous reste à faire si votre grand tante suggère du bout des lèvres quelque menus remaniements dans votre grand oeuvre ? 
    Balancez-la sans plus attendre dans un bon bain d'acide !
    Jusqu'à preuve du contraire, votre grand-mère n'est pas - et ne sera jamais - une personnalité très écoutée du New-York littéraire.


    Pour se faire une idée, voici ci dessous un extrait de la version originale, suivie de la version de 1981.


     "Ce soir-là, en rentrant du travail, Maxine, la femme de L. D., lui demanda de ficher le camp ; il était saoul une fois de plus, et il injuriait Rae, leur fille de quinze ans. Assis à la table de cuisine, L. D. et Rae se disputaient. Maxine n'eut même pas le temps de déposer son sac ni de déposer son manteau.

    "Dis-lui, Maman, dis-lui de quoi nous avons parlé", lança Rae.

    L. D. tournait son verre dans sa main mais ne buvait pas. Maxine lui lançait un regard féroce et déconcertant.

    "Ne fourre pas ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien, dit-il. Je refuse de prendre au sérieux quelqu'un qui reste assis toute la journée à lire des revues d'astrologie.""

    "Parlez-moi d'amour" ("Un dernier mot"), p. 181 


    "La femme de L.D., Maxine, le mit à la porte un soir après que, rentrant du travail, elle l'eut trouvé soûl une fois de plus et en train d'agonir Bea, leur fille de quinze ans. L.D. et l'adolescente étaient attablés à la cuisine et se disputaient. Maxine n'eut pas le temps de ranger son sac ni d'ôter son manteau. Bea dit, "Dis-lui toi, maman. Dis-lui de quoi on a parlé. Hein, que c'est dans sa tête ? S'il veut arrêter de boire il n'a qu'à se dire d'arrêter. Tout ça c'est dans sa tête. Tout est dans sa tête.
    - Tu crois que c'est aussi simple que ça, toi ?" dit L.D. Il tourna le verre dans sa main mais ne but pas. Maxine l'enveloppait d'un regard féroce et déconcertant. "C'est des conneries dit-il. Ne viens pas mettre ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien du tout. Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est dur de prendre au sérieux quelqu'un qui passe la journée à lire des revues d'astrologie.""

    "Débutants", ("Un dernier mot")

    carver.jpg
    Raymond "J'aurais dû écouter ma grand-mère" Carver

     

     

    Sources : Le Monde du 23/09/10

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  • Je n’ai jamais lu un livre d’Amélie Nothomb. Je sais cependant, comme 99% de la population, qu’elle exerce le métier d’écrivain et qu’à chaque rentrée littéraire elle livre à son éditeur, comme une bonne petite ouvrière, un échantillon de sa production auquel elle donne immanquablement un nom bizarre, on ne sait trop pourquoi. Quoi d’autre ?  Elle porte des chapeaux grotesques dont on ignore s’ils servent à dissimuler un crâne trop volumineux, ou s’ils sont simplement énormes juste pour le plaisir. Et pour finir, elle possède un timbre de voix très particulier, ressemblant à s’y méprendre au son de la craie crissant sur le tableau vert d’un instituteur sadique. Il serait donc plus honnête de dire que je ne sais rien d’Amélie Nothomb, et encore moins sur ses bouquins.
    Toutefois j’ai pu récemment constater qu’Amélie dit des choses intelligentes (il est également possible qu’elle en écrive, mais comme dit plus haut, je suis mal placé pour en juger).
    Donc, l’autre jour, elle a dit quelque chose de très intelligent, c’était à la radio, et elle était interviewé par un de ces journalistes dégoulinants d’obséquiosité prêt à se pâmer devant le moindre rot dès lors qu’il est émis par un personnage médiatiquement important. Je ne me souviens plus de la question, mais Amélie s’est attardée sur sa méthode d’écriture. Non pas quelle plume elle utilise, ni sa marque de papier préféré, mais sur sa gestion du temps. Amélie se lève tous les jours à 4h du matin et écrit jusqu’à 8h (du matin). Quatre heures d’écriture, tous les jours de la semaine, qu’il vente ou qu’il pleuve. Et là où ça devient encore plus intéressant, c’est qu’elle avouait que ce rituel l’ennuyait profondément, que bien souvent, pour ne pas dire toujours, elle resterait bien couchée, Amélie, pour finir tranquillement sa nuit et se faire réveiller par le soleil levant et le chant des oiseaux. 
    Bon, ensuite elle racontait que si elle n’écrivait pas tous les jours elle mourrait et patati et patata... disons que c’est sa problématique à elle, son barnum personnel. Mais pour l’ensemble des écrivains en devenir, c'est évidemment une leçon a retenir : même avec du talent, de l’inspiration et tout le reste, vous n’arriverez jamais à rien si vous ne vous imposez pas une discipline, si vous ne devenez pas, comme le disait Amélie Nothomb, votre propre bourreau. En somme, l’écriture n’a rien de “fun”, de jouissif, c’est avant tout une occupation de masochiste. A méditer avant de se lancer !
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    Amélie Nothomb après une panne de réveil
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