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Avis sur texte : extrait de roman : Salamone Giuseppe
Une nuit, un jour, une vie
La nuit commençait par être mystérieusement silencieuse, d’une obscurité presque absolue, s’il n’y avait eu la lune et ces quelques étoiles scintillantes dans le ciel qui étaient là pour la rendre un temps soit peu plus supportable. Il se tenait la poitrine, en écoutant, on ne peut plus près, cette pénible et caverneuse respiration du moment. A chaque battement de ses paupières et de son cœur, le vieux voyait que la nuit, aimait à enfourner sans gêne son éblouissante masse sombre dans la pièce. Dans le tumulte de ses pensées il voyait que tout se mêlait et se démêlait dans cette ambiance écrasante et obscure. Sans son consentement, une partie de sa détresse et de son indignation vagabondait dans l’air. Sa vie toute entière lui semblait s’être accrochée à ce chapelet blanc posé sur sa table de nuit où des perles d’onyx de Pater Noster et d’Ave-Maria, n’attendaient que le toucher de ses doigts et le chuchotement fébrile de sa voix. Il l’avait vu souvent, cette minuscule croix du Christ, plaquée d’une couleur argent, qui se liait par la chaine de la pénitence et du repentir des âmes. Le Dieu tout puissant se tenait là, près du chapelet qui fut mis en évidence et sous son nez par sa famille. Le lit avait su prendre pour lui, le seul attrait de l’espace visible à l’intérieur de son appartement, où de tout son long s’étalait sa position quasi moribonde. Paradoxe du repos, ce même lit avec le temps lui avait érigé d’immenses murs, et tout autour de lui soudainement, son ultime prison. Il avait beau vouloir scruter le ciel au travers de la fenêtre fermée, pour s’oublier, pour se donner un moment de répit et finir par oublier le monde et sa rage d’être né. Pour ne plus réfléchir à son sort d’humain, maintenant dépourvu de ces simples gestes de la vie, banals il fut un temps se disait-il et pratiqués sans le moindre effort. Alors que jour après jour et cette même nuit il se forçait à oublier cette ultime utilité de son corps. Il avait vu vaciller tout son être, durant ses pénibles péripéties d’homme devenu insensible et solitaire. Dérangé par les visites impromptues, de personnes qui venaient pour le voir. Il n’aimait pas tous ces gens qui venaient le voir pour se nourrir de la détresse humaine, comme ils se gavent de mets lors de cocktails distrayants. Mais que faire dans ces moments là où l’on vous observe bizarrement, pour s’oublier. Que faire pour arriver à fermer les yeux à jamais, se répétait-il dans ces silences échangés avec les autres. Le temps aidant, il avait pris cette fâcheuse habitude de croire qu’il suffisait de demander la mort ou de la prier, d’user pour lui et pour lui seul, plein de bienveillance, pour qu’elle le prenne selon sa volonté. Pour qu’elle arrive à se lasser de l’entendre gémir et l’emporte subitement. Mais rien n’y faisait, et il restait durant de longs moments en quête de compréhension et finissait par regretter d’être venu encore et toujours dans son monde. Le blanc laqué du plafond de sa chambre, était à peine visible à cette heure sombre de la nuit. Mais son regard se fixait au plafond comme une cheville spitée à un mur et lui rappelait à chaque seconde la réalité de sa condition. Lentement et sans plus aucune assurance il méditait sur sa vie, sur ce que fut son existence… Du dehors s’invitait sans trop de gêne, la silhouette légère et sombre de la nuit, qui avec la plus grande aisance d’une matrone, entrait et sortait par la fenêtre selon sa guise. Par soubresauts de ses sens, il se mettait à raconter avec la plus invraisemblable gravité le conte d’une partie de ses peines et de ses jouissances d’homme jeune et bien portant. La réalité était tout autre. Un moment, la peur lui fit battre le cœur un peu plus fort que d’habitude. Plus vite et plus fort encore. Le sang lui faisait claquer les tempes et le front. Le moment est-il arrivé se dit-il ? La voilà, la presque rupture du mouvement de son gros muscle fatigué qui s’immisce dans sa nuit. Mais le cœur était encore capable d’apporter l’oxygène nécessaire à tout son corps. Au diable, au diable les fausses frayeurs. Fragilité oblige, comme l’on est lorsque nous ne sommes que des nourrissons. Il ne pouvait même pas fuir son lit, sa place, sa position ou bien simplement crier, hurler et fendre de sa voix la nuit. Il referma encore une fois ses yeux avec toutes les peines du monde. Il s’éloigna tout entier de son corps tout endolori et de son esprit. Il se vit partir dans les allées du jardin de ville. - Il se vit à genoux, puis assis près d’un rosier en fleur. Là, des roses grosses comme des petits melons de Cavaillon, s’offraient à la lumière et à tous les désirs de sa vue et il contempla la beauté terrestre. Il caressait chaque pétale, d’un velours rouge sang, tout en humant l’odeur d’un parfum qu’il garderait enfouit dans sa galopante mémoire. C’était son instant de vie béate, son enthousiasmante minute de réalité incertaine, qui le menait là, où seul ses absences et ses souvenirs pouvaient le conduire. Puis il ouvrit de nouveau et avec le peu de force qui lui restait, ses yeux, qui n’avaient nulle envie de lui faire apprécier son sommeil, et revint très vite s’abandonné dans la nuit. Les oiseaux chantaient en chœur tandis que lui, fredonnait à tue-tête.- (Au clair de la lune, mon ami Pierrot. Prête moi ta plume pour écrire un mot. Ma chandelle est morte je n’ai plus de feu. Ouvre-moi ta porte pour l’amour de Dieu). - Sa voix se mit à l’enthousiasmer et soudain, cet air connu qu’il chantait, le précédait dans le jardin de ville. Délice ! il voyait enfin de près les oiseaux qui se posaient sur de la terre rougeâtre et molle, sur les branchages des rosiers et des arbustes couverts de centaines de fleurs. Il voulait presque se mettre à imiter les oiseaux et se mettre à voler et à chanter comme eux. Puis une envie folle lui vint et il se mit à courir après tous les oiseaux du jardin de ville, comme peut l’être parfois un fou rempli de joie.
Tags : nuit, d’un, sans, moment, vie
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Commentaires
1robert doraziDimanche 5 Août 2007 à 22:17Répondre3salamoneJeudi 17 Novembre 2011 à 16:104georgesJeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
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