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Avis sur texte : nouvelle - Laure Anne
SALVA NOS
Il écrase sa cigarette sur l'appui de fenêtre. Son soupir dessine de drôles de formes contre la vitre froide. Comme un gamin il a presque envie d'y passer le doigt pour y tracer les arabesques qui hantent son cerveau. Y écrire son nom qui sonne si creux, du bout de l'index représenter sa vie en deux traits qui se rejoignent pas.Il inspire, lorgne sur son paquet de clopes vide. L'idée même de sortir en acheter lui donne envie de gerber. C'est la dèche. Quelque part dans l'appart, Noir Désir passe à la radio, ça l'inciterait presque à se flinguer. Ou à se pendre. C'est plus propre, quand même.
A côté de lui, une bouteille aussi vide que sa tête lui fait tourner les yeux vers la rue. Mieux vaut pas regarder la déchéance en face. De toute façon demain il sera mort, et personne sera là pour s'en soucier. Il y croit.
Il pose son front sur le verre glacé, regarde en bas dans la rue toute la vie qui s'y déroule, insouciante, innocente, presque. Tout est tellement moche, et y'a que lui pour s'en apercevoir. Les autres ils sont éblouis par leurs sourires réciproques, à croire qu'il faut que ça pour voir le monde en rose. C'est ridicule. Ils voient pas les gosses shootés qu'il côtoie tous les jours, ils voient pas la misère de ces mômes qui vendent des saletés à leurs copains de primaire, ils voient rien de tout ça, ils ont mis leurs oeillères pour que tout aille bien. Il s'en fout. C'est leur problème. Il est bien dans son univers noir et gris. La dernière tache de couleur, il l'a oubliée volontairement.
Il est au-dessus de ça, lui, au-dessus du déni, au-dessus de la foule, dans son trente mètres carrés, bien planqué au cinquième étage, dans la mansarde, sous les toits. Ouais, c'est ça, il s'en fout, et s'il entend les sanglots de Côme jusqu'ici c'est juste son imagination. Bah, faut bien qu'elle serve...
Avec l'amertume nouée comme une écharpe autour de sa gorge enrouée, il y croirait presque.
Il rigole mais ça s'étrangle bien trop vite pour être naturel. Il comprend même pas pourquoi ça l'affecte tellement. Il est parti un jour, en claquant la porte, comme ça, parce qu'il en avait marre de ce clébard sans caractère, ouais, il est parti, sans être retenu, c'est peut-être ça qui lui a un peu miné le moral...
Il s'en fout tellement de lui, Côme ?
Ils sont pas faits pour être ensemble, y'a qu'à les voir. Il s'en souvient encore, des grimaces contenues, des sourcils froncés, du nez plissé, des remarques sur ses cheveux rouges, ses piercings, ses fringues trouées. Côme il est trop propre sur lui, c'est malsain aussi, c'est une couverture jetée sur les yeux des autres pour pas qu'ils voient combien il est sale à l'intérieur. Humain. Fragile.
Maxence il s'est pas laissé avoir. Il a tout déchiré et il a vu la confiance s'effilocher dans les yeux de Côme. Et puis il est parti. Longtemps après. Peut-être parce qu'il en avait marre de la lueur qui vacille dans sa tête. Peut-être.
Si le mec à la radio a décidé de le faire déprimer, il y parvient plutôt bien.
Il se lève, espère balancer son désastre intérieur par la fenêtre. Mais faut pas trop rêver.
Il sort de l'appart, pieds nus, laisse la porte ouverte, s'échappe par la petite fenêtre du couloir, monte sur le toit, cinq étages plus bas c'est le bitume, il ose pas regarder en bas la rue qui défile, les gens qui se trompent de route. Dehors il fait toujours plus moche que bien à l'abri dedans. Chez lui. Chez Côme. Il s'est un peu perdu. Il a dû rater un embranchement. Ca aurait pu lui éviter bien des emmerdes. Mais en fait, il regrette pas trop. Il a juste pas l'habitude. Ca reviendra, normalement.
Il respire à fond les odeurs de la ville, là-haut perché sur le sommet de son monde. Les nuages gris et fades le trempent de son désarroi, mieux que lui, parce qu'il sait plus pleurer. Il a les pupilles un peu trop dilatées pour ça. Pour ça, son imagination, elle l'aide pas.
Il a envie de jouer à la marelle sur l'ardoise glissante. Peut-être que la flotte lavera ses doutes. Il se trouverait presque con, sur l'instant. Enfin, un peu plus que d'habitude, quoi.
Eh, Côme, tu ferais quoi toi ?
Il s'assied, les coudes sur les genoux, il a un peu froid mais il s'en fout. Il a besoin de se laisser vider par le vent. Il est comme un marmot qui sait pas se débarrasser de sa crasse tout seul. Côme lui frottait le dos pour l'apaiser. Pour lui faire oublier qu'il dealait avec des gosses de dix ans. Pour lui faire oublier quand il avait pas eu sa dose. Ca marchait plutôt bien.
Ca lui tombe dessus un peu comme une évidence, mais il a juste pas envie de se l'avouer. Finalement, il est pas au-dessus du déni, il est en plein dedans.
Eh, Côme, tu me manques, sale con...
Dans l'appart, sur la vitre, le dessin d'un coeur se fait lentement effacer par la pluie.
Tags : bien, come, presque, dessus, fout
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Commentaires
1BéatriceSamedi 4 Août 2007 à 00:00J'apprécie vraiment de lire ces textes si différents. Je trouve que celui-ci est plus qu' intéressant. Il campe une ambiance. Il y aurait, certainement, des remarques à faire (par exemple, peut-être un excès d'emploi d'une forme négative familière, même si on comprend bien que c'est là la manière de penser de Maxence) mais il y a un style. On perçoit une vie entière en quelques lignes et ça, c'est très bon. On "voit" votre personnage. Comme pour tous les autres textes, je pense cependant qu'on peut élaguer, éluder, et sabrer. Je sais, c'est dur, mais je crois que là, ça vaut le coup. Pour ce qui est de la dernière phrase, je suis aussi de cet avis, elle mérite d'être allégée ("est lentement effacé par la pluie"? ou bien la forme active?). En tout cas, c'est vraiment agréable de vous lire, et j'espère que vous avez d'autres écrits en réserve. Après quoi, j'ai tellement sévi sur ce blog aujourd'hui que je crois que je vais me reconvertir dans la correction. :-)))RépondreUne ou deux remarques qui pourraient faire progresser l'auteur : la vision finale est mièvre, galvaudée et gâche tout l'effet du récit ; non seulement l'idée du coeur gonflé de chagrin est, en guise de dénouement, plate et inappropriée au drame qui précède, mais les symboles utilisés pour exprimer l'idée sous la forme d'une allégorie sont vraiment trop faciles : il faudrait trouver autre chose pour symboliser les larmes que la pluie, et pour symboliser le coeur que son simple dessin. Le même problème de métaphorisation est détectable lorsque l'amertume est comparée à une écharpe. J'ai du mal à décoder l'image : mais si, comme je l'ai compris, l'amertume est un moyen de se protéger contre le dérisoire monde extérieur, l'association d'idée qui préside à la métaphore (vie ridicule et douloureuse=hiver et amertume=écharpe) reste un poncif. Il y a encore du travail à faire, bien que l'auteur maîtrise assez bien certaines ficelles.7LucileJeudi 17 Novembre 2011 à 16:108edwigeJeudi 17 Novembre 2011 à 16:10Youyou!! Très sympa à lire çà!! Continuez s'il vous plaît...9JennyJeudi 17 Novembre 2011 à 16:10Franchement, au niveau "artistique" j'ai beaucoup aimé. C'est un style qui me plaît vraiment. Continuer cette histoire, je crois qu'il y a quelque chose qui brille là-dessous. On se laisse emporter dans son monde, et nous aussi on y croit. Je ne ferai pas de critique sur l'ortographe ou autre côté "technique" car je crois que ce sont des choses qui se corrigent facilement. Pour ce qui est du talent de conteur par exemple, c'est une autre histoire, je crois que c'est une chose que l'on a ou que l'on a pas, et vous...vous l'avez...continuez!10Aloysius ChabossotJeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
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