Il aimait l'amour facile, du qui-gratte-pas et sent le savon bon marché.
Fi des odeurs fortement corporelles ou des fragrances hautement rares.
Il aimait les femmes comme on aime les chips, à peine on en glisse une en bouche qu'on l'avale sans y faire attention, alors que la main est déjà dans le paquet pour
en prendre une autre.
Il disait "aimer" les femmes mais refusait de s'en faire aimer en retour, toutes objets de ses pulsions furtives, de désirs vite satisfaits.
La passion lui était aussi étrangère que l'histoire des dynasties mandchoues et seule la "consommation" l'intéressait, rassurante dans sa futilité.
Boulimique, il dévorait sans s'attarder sur les arômes ou la saveur d'un mets... euh... enfin d'une femme.
Il redoutait l'attachement, la sensibilité, pourtant spécificités majeures de la gente féminine.
Vite séduites, vite "consommées" et aussi vite reléguées au rang des souvenirs et malheur à celle qui demande, qui s'accroche, qui réclame.
Femme-trophée, femme-butin rapportée d'une guerre improbable contre de vieux démons intérieurs ou d'une course contre le spectre de l'abandon. Puis-je encore séduire
? Est-ce que je plais encore ? Je plais à celle-ci mais pas à celle-là... mais pourquoi ? Puis-je la conquérir ? Et si je l'ai, va-t-elle m'abandonner ?
Avec moi, il ne s'est même pas caché des ses stratagèmes de Don Juan de banlieues, fluet jeune homme au regard insaisissable, trop souvent en fuite.
Elle aimait sa peau douce et lisse, ses larges gestes de grand enfant sur son corps moissonné de femme plantée dans l'âge mûr. Mouvements gauches malgré l'affichage
de conquêtes démultipliées, il reste encore une énigme pour elle.
Elle aimait sa légèreté, son poids plume en opposition avec la pesanteur de sa pensée et autres démonstrations sémantiques, philosophiques ou économiques.
Elle aimait son regard sur elle, un œil neuf même pas enjôleur mais déjà jaugeur de sensualité pas déplaisante et surtout nouvelle.
Elle l'aimait encore malgré sa noirceur d'âme, malgré sa violence contenue dans des mots d'acier trempé.
Elle l'aimait toujours malgré sa dureté de diamant, son inconstance d'homme qui manque de confiance en lui-même et en sa capacité de séduction.
Lui, le petit lutin au regard d'oiseau égyptien, a immolé cette femme déjà abîmée sur l'autel de sa réputation, au mépris de ses enfants et de tous les
siens.
Elle continuait de regretter la douceur de sa peau et le temps des mots miellés.
Etait-ce vraiment de l'amour ? Non, disaient les proches, les amis, les spectateurs. Mais elle savait, elle, au fond de son cœur que c'en était. Violent, incohérent,
irrationnel. Inconditionnel.
Il lui restait pourtant assez de dignité et d'estime d'elle-même pour ne pas se jeter à ses pieds et le supplier ... de quoi, d'ailleurs.
Le supplier de la reprendre ???
Mais pour quoi donc ? Pour des moments d'échanges toujours plus tièdes que dans ses espoirs ?
Pour une relation qui n'évoluerait qu'en fonction d'un seul de ses acteurs, lui en l'occurrence ?
Pour un échec et une nouvelle rupture en fin de parcours... ?
Elle lui avait offert ce qu'il attendait. Rien de moins. C'était un don singulier, total. Quelque chose qu'elle avait officiellement promis de ne garder que pour un
seul homme, le reste de sa vie. Il n'était pas cet homme.
Le mariage n'était pas un engagement vain pour elle et ce qu'elle transgressait pour le seul plaisir de son lutin était à la mesure de sa soif d'un regard neuf. Ca
n'était pas un adultère à la petite semaine. C'était un acte d'amour et de liberté.
Salir.
Salir était un jeu pour lui. Souvent, il lui faisait des blagues de mauvais goût, se vantait d'avoir longtemps abusé de la bêtise de ses maîtresses, médiocrement
choisies parmi des femmes déjà médiocres.
Après la rupture au couteau de boucherie, elle avait rejoint le troupeau de vaches à moitié folles, abasourdie de l'audace de son amant, devenu subitement un être
abject, car il venait de la dénoncer.
Son âme d'amazone lui réclame encore les oreilles et la queue du taurillon.