Vous n'aimez rien tant qu'une longue balade dans les bois au milieu des arbres feuillus. En chemin, vous ne manquez pas de saluez vos amis les écureuils, petits hôtes espiègles et roux de la grande forêt mystérieuse. Votre coeur bat la chamade lorsque, au loin, retentit le chant du coucou qui rebondit de brin d'herbe en chapeau de champignon pour enfin épouser le pavillon velouté de votre oreille délicatement ourlée.
Vous êtes une personne sensible, et vous vous comportez comme un véritable éponge face au malheur du monde (vous avez définitivement renoncé à la lecture des pages "faits divers" du Parisien une veille de week-end).
Sentimentalement, vous idéalisez l'être aimé au delà de toute limite, d'autant plus aisément que vous vivez seul et que votre dernière relation sérieuse remonte au CM2 Bref, votre personnalité à fleur de peau, votre passion du beau et votre quête de l'amour impossible font de vous un être à part, un écorché vif, une petite boule d'émotion concentrée prête à exploser à tout moment. Toutefois, vous sentez un grand vide dans votre existence, une sorte de langueur monotone que vous ne sauriez définir, un besoin d'expression qui vous taraude jusqu'au fond de vos draps, le soir, lorsque la lune caresse de sa douce lumière les contours de votre chambre.
Un jour, la providence vous mène jusqu'à une librairie. Le destin prend ensuite le relais et vous mène jusqu'à un livre dont la couverture aimante immédiatement vos yeux. Il s'agit "D'amour et de mots", du grand poète/chanteur de variétés Francis Lalanne. Vous ouvrez le volume et commencez à lire les première lignes. Là, les poils de vos bras se dressent comme un seul homme :c'est la révélation ! Vous aussi allez écrire de la poésie !
Votre plan est simple : à l'aide d'un dictionnaire de rime, vous vous mettez aussitôt au travail. Les thèmes ne manquent pas : l'amour, la vie, les écureuils, tout les sujets sont bons pour versifier et libérer enfin au grand jour les sentiments qui vous habitent. Et puis l'avantage avec les poèmes, c'est que quelques lignes suffisent pour remplir une page. En un mois, et à l'aide d'une police Tahoma corps 14 en gras, vous possédez déjà assez de matière pour remplir un volume. Vous intitulez l'ouvrage : "Amour rimera toujours avec toujours", le dédiez à Sylvie Tassereau, que vous nommez pudiquement Sylvie T, et sûr de votre coup, vous l'envoyez à toutes les plus prestigieuses maisons d'éditions de France.
Bienvenue dans le cercle des poètes maudits. Car la seule réponse que vous ne recevrez jamais est "votre ouvrage n'entre pas dans le cadre de nos collections". Et encore, il est fort à parier que vous ne recevrez rien, absolument rien. J'entends d'ici vos récriminations de poète blessé jusqu'au sang dans son hypersensibilité à fleur de peau : "Oui, mais... Et Francis Lalanne, alors ? Il vend, lui !"
Ce à quoi je vous répondrai que Francis Lalanne (comme Dominique de Villepin) fait partie de la catégorie extrêmement rare des poètes qui passent à la télévision à des heures de relativement grande écoute. Dès lors il a beau jeu de prendre la pause, d'adopter son regard de cocker enrhumé et de débiter sur un ton enfiévré, dès que l'occasion se présente, des chapelets d'âneries que le téléspectateur semi anesthésié prendra à tort pour de la poésie.
Difficile dès lors de soutenir la comparaison avec une telle bête de somme de la création artistique, vous en conviendrez.
Toutefois, ami poète, il vous reste une solution : l'Internet. Avec les conseils prodigués ici-même, ce serait bien étonnant de ne pas attirer 3 ou 400 pékins bon an mal an sur un quelconque blog présentant vos bouts rimés, joliment agrémentés de coeurs en gif animés et de photos d'écureuils espiègles. En somme, plus de lecteurs potentiels que ne vous aurait apporté une édition en papier, et tout cela sans bourse délier, tout en préservant les arbres de la forêt. Forêt dans laquelle vous pourrez ainsi continuer à vous promener, en quête de cui-cui d'oiseaux et d'inspiration.