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La machine à fabriquer des best-sellers
De tout temps, les éditeurs ont dû pour dénicher la poule aux oeufs d'or se débrouiller avec les seules armes dont ils pouvaient disposer : leur flair, leur intuition, ou appelez ça comme vous voulez. Pour la petite histoire, ce sont sans conteste possible ces inestimables facultés qui ont poussé Gutemberg, afin de lancer sa petite entreprise, à imprimer un bouquin qui avait depuis belle lurette fait ses preuves, et dont les auteurs ne risquaient pas de venir lui rebattre les oreilles avec d’agaçantes histoires de royalties.
Mais depuis l’invention du vénérable barbu allemand, les choses ont bien évolué. Pourtant, si le marché du livre est aujourd’hui caractérisé par une concurrence effrénée et des marges de manœuvre artistiques de plus en plus exsangues, le flair et l’intuition restent encore les seuls outils disponibles pour tenter de décrocher la timbale (et en attendant le jack-pot, de continuer à payer les traites). Résultat : en gros, 90% des bénéfices des maisons d’édition sont générés par seulement 10% des titres. Que d’énergie dépensée en pure perte, que d’arbres sacrifiés sur l’autel de la production à outrance !
Pour un « les Bienveillantes », pour un « L’élégance du hérisson », combien de romans obscurs aussi vite imprimés que répudiés s’en iront nourrir l’infâme pilon ?Mais toute cette tambouille aux relents quasiment préhistorique ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir, puisque qu'une technique révolutionnaire vient de faire son apparition aux Etats-Unis, pays de l'optimisation triomphante.
En effet, pourquoi s'embêter à prendre des risques inutiles, alors que les mathématiques, habillement mixé avec un peu de science économique, peuvent déterminer LE type de livre que les foules s'arracheront? C'est exactement ce que propose Media Predict , un site spécialisé dans ce qu’on appelle les “marchés prévisionnels”: des sortes de bourse dans lesquelles les participants parient avec de l’argent fictif sur tout un tas de choses... dont des projets d'édition. Tout le mécanisme repose sur l'idée que l'avis de milliers de quidams sera de toute façon plus proche de la réalité que les prévisions d'une poignée d'experts. Saugrenu ? Pas tant que ça, puisque Simon & Schuster la grande maison d’édition New Yorkaise a passé un accord (et sûrement pas à l'aide d'argent fictif) avec Media Predict afin de détecter le bouquin qui cassera la baraque.
Bon, c'est vrai, jusqu'à présent, aucun best-seller n'est encore sorti de cette marmite prospective, et il est encore temps de se moquer à bon compte. Mais souvenez-vous : dès lors qu'un juteux bénéfice se profile à l'horizon, les Américains ne lachent pas le morceau et finissent pas réussir. Il y ont mis le temps, mais ils ont fini par y marcher, sur la lune !
D'autant que nous arrive, provenant d'une autre sphère créative, une autre information qui ne fait que renforcer nos craintes. Même s'il s'agit ici de cinéma, le 7ème art entretient trop de liens intimes avec la littérature pour ne pas y trouver un parallèle troublant. La société Epagogix (américaine, mais fallait-il le préciser ?) s'est spécialisée dans les estimations de box-office en fonction d'un scénario donné, et propose grâce à un logiciel habillement programmé d'apporter des modifications à l'histoire afin d'optimiser les bénéfices. "L'interprète", film de Sydney Pollack, a bénéficié de cette formidable technologie. La première version du script avait été taxée d’ « européenne » par la machine, et les résultats estimés ne s'élevaient qu'à 33 malheureux millions de dollars. Après quelques judicieuses retouches apportées par Sidney Pollack lui-même afin de l'américaniser, les résultats ont soudainement grimpé à 69 millions de dollars (pas loin du chiffre final réalisé par le film, en fait !). Mais le logiciel avait suggéré d'autres "améliorations qui n'ont pas été retenues : une meilleure utilisation du bâtiment des nations unies, et c'était 5 millions de bonus, un partenaire du héros plus jeune et éventuellement de couleur, et c'était 12, 5 millions dans la cagnotte ! En fait, on se rend compte que plus il y a des stéréotypes dans le scénario, et plus il a de chance de plaire au grand public. Et moins il y a de place pour la création, l'imagination et le risque.
Une menace pour notre bon roman français ? L' "exception culturelle" de notre beau pays saura-t-elle se montrer assez vivace pour résister au calibrage mercantile ? L'avenir nous le dira.
En attendant, je vais tenter de télécharger ce fameux logiciel sur emule !
"C'était mieux avant"
(source : http://pisani.blog.lemonde.fr/2007/07/10/litterature-et-marches-previsionnels/)
Tags : millions, afin, histoire, beneficie, bon
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Commentaires
1Marc GalanSamedi 8 Septembre 2007 à 10:31Répondre7coline DéJeudi 17 Novembre 2011 à 16:108Max FérandonJeudi 17 Novembre 2011 à 16:109FanfanJeudi 17 Novembre 2011 à 16:1010ed lJeudi 17 Novembre 2011 à 16:1011gillmardJeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
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