• La télé réalité, source inespérée d'inspiration (suite et fin)

    Il existe actuellement une émission de télé réalité qui mérite toute l'attention des apprentis écrivains. Il s'agit de "L'amour est dans le pré", produite et diffusée par l'amie de la culture et des Arts, M6 (ne pas confondre avec M6, le roi du Maroc Mohammed 6 que ses copains appellent ainsi pour le taquiner).
    Voici un extrait du concept pondu par la chaîne : "Ils vivent dans les plus belles régions de France, ils ont entre 25 et 48 ans, ils sont viticulteurs, céréaliers, éleveurs de chèvres ou de vaches, Pour L’Amour est dans le pré, dix agriculteurs ont accepté de se dévoiler pour trouver l’âme-sœur."
    Bon, je reprends la main pour aller plus vite : chaque agriculteur va choisir (sur photo/CV) deux prétendantes qui viendront passer quelques jours à la ferme. Sur place une lutte à morts va vite s'engager entre les concurrentes afin de gagner les faveurs de notre ami fermier : c'est à celle qui sera la plus sympa, la plus drôle, la plus aguicheuse, et surtout la plus apte à traire les vaches sans en foutre partout. Jusque-là, rien de bien excitant pour l'auteur en devenir à la recherche de sujet. Mais attendez donc un peu, jeunes impatients ! Car aux milieux de ces histoires somme toute banales et répétitives se cache une véritable mine d'inspiration. Imaginez trois personnes : Cécile, cultivatrice de piments et éleveuse de chèvre, carrure de catcheuse, amabilité réduite au minimum syndical, une dure au mal qui ne vit que pour son travail. En face, les deux prétendants Yves et Georges.

    Le premier se proclame apiculteur, mais on se dit qu'avec l'énergie qu'il déploie en toutes circonstances, sa production doit avoisiner le demi-pot de miel par an. Yves est un poète, un vrai, qui refuse de se servir d'un micro-ondes et préfère manger des glands et des racines plutôt que de fouler le sol d'un supermarché. Yves n'a évidemment aucun succès auprès de Cécile, tant leur conception du monde semble diamétralement opposée. (Cécile ne mange que des plats surgelés). Circonstance aggravante : notre ami s'avère incapable d'arracher un bâton fiché en terre alors que dans le même temps la campagnarde, flanquée de ce fayot de Georges, en déplantent des dizaines comme qui rigole. Parlons de Georges justement. On ne sait pas trop d'où il sort, mais une chose est sûre : archi-motivé pour venir vivre à la ferme, il est prêt à toutes les flagorneries pour entrer dans les bonnes grâces du maître des lieux : systématiquement d'accord avec ce que dit Cécile, il ne rate pas une occasion de dénigrer - discrètement mais sans appel - les positions extrémistes-écolo de son concurrent. Pour se faire bien voir, il pousse le vice jusqu'à exhiber dès qu'il en a l'occasion un gros livre sur les chèvres qui sont, ne cesse-t-il de répéter, "sa grande passion". Manœuvres qui laissent hélas de marbre notre paysanne acariâtre, tant elle semble en permanence accablée par la présence inopportune de ces deux dégourdis.
    D'un point de vue strictement "humain", on ne pourrait que compatir à son désarroi si l'on acceptait d'oublier toutefois que personne ne l'a obligée à participer à ce jeu de dupe. Mais passons. Car toute cette histoire revêt un tout autre intérêt dès lors qu'on veut bien la considérer sous l'angle des "techniques fictionnelles". Nous sommes effectivement en présence de 3 personnages qui de part leurs antagonismes même fonctionnent parfaitement. Le schéma de départ est connu : un Auguste, Yves, qui ne cesse de commettre des bêtises, soit par la parole, soit par les actes ; un clown blanc, Cécile, qui en manifestant sa désapprobation contribue à mettre en valeur les bévues d'Yves. Et un troisième personnage, intermédiaire, qui par sa position de "Monsieur Oui Oui" amplifie le potentiel comique de chaque situation. A ce titre, la discussion sur le thème de l'amour (qui se déroule autour d'une assiette de pâtes à la béchamel, préparée par Yves, avec des grumeaux gros comme des balles de ping-pong) est éloquente : Cécile demande à Yves sa définition de l'amour. "C'est les sentiments, et le sexe" répond notre ami avec un large sourire de grand timide qu'on a toutes les peines du monde à interpréter comme égrillard. Cécile, comme on s'y attendait, n'est absolument pas d'accord et déroule pour le prouver la démonstration suivante, tout à fait imparable : elle aime son chien d'amour, et pourtant elle ne fait pas de sexe avec lui, alors, hein, qu'est-ce que tu réponds à ça ? Yves se contente de sourire, et on voit bien dans le regard de la rude fermière qu'il vient définitivement de rejoindre la clique des hommes de Néandertal obsédés sexuel. Tandis que celui-ci continue d’arborer le même sourire impénétrable, elle demande le point de vue de Georges, qui s'empresse alors de répéter le discours de Cécile, en essayant toutefois de changer quelques mots pour éviter une paraphrase trop intempestive. Cécile qui ne tombe évidemment pas dans le piège grossier tendu par le machiavélique Gilles, décide dans un soupir que ça suffit pour aujourd'hui et monte se coucher.

    Bien sûr, la vision de ces trois-là fait rire, mais il n'y a pas que ça : ce sont trois solitudes qui s'affrontent sans jamais se rencontrer, et on devine que finalement, personne parmi ces personnages ne sortira gagnant d'un jeu pipé dès le départ - celui de M6, bien sûr, mais plus largement, celui que leur impose leur propre existence.

    Et pour notre plus grand bonheur égoïste, le frottement de ces trois destinées crée des étincelles de fiction qu’il suffit de recueillir et d'alimenter pour allumer un grand feu (notre stock étant actuellement en court de réapprovisionnement, nous avons été contraints d'utiliser cette métaphore moisie, seule disponible. En espérant que notre aimable lectorat ne nous en tiendra pas rigueur).

     

    Donc, si vous êtes en quête de personnages inspirants, ne manquez par leur dernière apparition à l'écran, lundi prochain à 20 h 50 si mes souvenirs sont bons.

     

     

     

     

     

     


        Yves et Georges : superbes

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  • Commentaires

    1
    Mercredi 16 Juillet 2008 à 18:38
    En tout cas une chose est sûr. Ils ne se sont pas trompés de casting. Je ne suis pas sûr que ces deux éphèbes auraient eu la moindre chance dans "l'ile de la tentation." Comment ça, je suis méchant?
    2
    Jeudi 17 Juillet 2008 à 10:12
    Sal_Min
    Je suis de passage sur ce blog et je découvre ce billet. Je suis tout à fait d'accord: bien que peu passionnante, la télé réalité est une source inépuisable d'inspiration pour les auteurs. L'interaction entre les participants est également intéressante d'un point de vue psychologique!
    3
    Mardi 22 Juillet 2008 à 11:13
    Gustave Borjay
    Une très belle analyse d'un triptyque amoureux très beau lui aussi. Encore un article intéressant et savoureux !
    4
    Eddie
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Eddie
    ke faite vous bon sang j'ai une television a la maison et j'ai pas envie de la regarder pour écrire.dite nous comment y arriver c'est tout ce kon vous demande ou soit vous fermer votre site
    5
    Marc Hassyn
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Marc Hassyn
    Fervent critique obtus de la télé réalité, mon côté fleur bleu m'a tout de même fait tomber sous le charme de cette émission tardive un soir de juillet. Au delà des clichés, du montage voire de la scénarisation de toutes ces émissions, celle là montre des gens qui ont de la vraie épaisseur, burinée par la campagne, les années de solitude, les doutes et le courage d'avoir franchi le pas de cette agence matrimoniale télévisée. Peut être aussi le commentaire est-il moins racoleur qu'ailleurs, j'y ai donc trouvé un je ne sais quoi d'authentique qui fleure bon le terroir humain et ... ça m'a plu (j'en suis encore tout chose). Finalement, derrière cette émission banane, il y a juste la difficulté de vivre de la terre, à la campagne, dans des conditions physiques moins classique que derrière un bureau, autrement que les autres dans notre confort et nos habitudes urbaines. C'est donc la fenêtre sur des gens qui ont le courage d'aller au bout de ce qu'ils aiment, de ce qu'ils y ont sacrifié, de la pudeur que beaucoup expriment et qu'ils osent dévoiler pour rompre leur solitude. C'est comme ça que j'ai apprécié cette émission, parce qu'au lieu de montrer des gens en mal de reconnaissance, elle ne montrait que des gens en mal d'être à deux qui assument pleinement leur choix de vie. Je me suis fait avoir ou je suis définitivement naïf ?
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    6
    Emily
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Emily
    On peut sourire, rire de l'autre sans pour autant le faire avec mépris ou manquer de respect. La télévision ce n'est pas de "l'inutile", et quand bien même, écrire sur de "l'inutile" ne "sert pas à rien"...vous y allez un peu fort de café Aby! Ici c'est un peu pour rire de toutes sortes de bouffonades, et rire de soi même...riez de vous Aby et vous verrez comme "on respire" mieux...mais moi je dis ça je ne dis rien, si ce n'est : "Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d'opinion, ou bien si tard, que ça n'en vaut plus la peine. On est né fidèle, on en crève nous autres!" Et puis, souriez Mr Chabossot, vous êtes filmé ! :-)
    7
    Thomas
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Thomas
    Bah, Aby, soyez relax, on est dans le domaine du second degré. Faut pas se monter le bourrichon pour ça. Vous m'apparaissez bien austère.
    8
    aby
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    aby
    Je ne regarde que très peu la télévision n'y trouvant rien de bien passionnant à regarder .. mais en venant sur votre blog, je vois que celle ci vous passionne malgré vos critiques, sinon, pourquoi regarder le coté jugé désespérant de certaines personnes ? pourquoi continuer à faire vivre de telles émissions en les regardant ? pourquoi passer des heures à écrire sur de l'inutile ? Je ne comprendrais jamais ces "démarches" qui ne servent à rien .. pour finir, je dirais juste que chacun à le droit de critiquer et d'apporter son avis, mais se foutre du physique des gens, je trouve cela pour ma part bien pathétique et ne montre à aucun moment un signe d'intelligence aux personnes qui s'adonnent à de telles activités ...
    9
    Sévy
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Sévy
    (je partage les opinions de stef et d'anywell) Je constate que vos soirées sont merveilleusement mouvementées, Aloysius ! Je vais demander à M6 de recréer le "Loft Story", rien que pour vous !
    10
    anywell
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Ajoutez une moustache et une perruque au second et vous verrez l'imposture. Sont fait en batterie pour fournir la télé réalité... si si.
    11
    Marie
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    Moi je dis qu'ils ont tous les deux de bonnes têtes de vainqueurs. Cher Aloysius, arrêtez d'écrire svp car je vais bientôt partir en vacances...
    12
    Maudit Bic
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
    On sent dans le regard direct, aguicheur et dans le même temps moqueur (style je suis revenu de tout) de Yves qu'il n'en est pas à son premier essai. Question chèvres, il s'y connaît bien sûr. Le Larzac il y était. Il aurait pu être de l'autre côté de la barrière (sur ce même Larzac), sans doute y eut-il quelques fiers légionnaires pour le défendre (qui s'y connaissent aussi en chèvre paraît-il). Georges, n'onobstant mon grand recul, j'ai l'honneur de vous le dire à l'air d'un niais qui perd à tous les coups. Bien sincèrement. Maudit-Bic super gagnante du grand jeu de ce blog.
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