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Pour Noël, les auteurs en devenir n’ont rien d’extraordinaire
Que fait l’auteur en devenir pour Noël ? Profite-t-il de ce week-end allongé d’un jour chômé grâce à la naissance du petit Jésus pour se mettre à sa table de travail ? Ainsi éloigné du tumulte des réjouissances factices, s’empare-t-il de cette occasion inespérée, alors que les voisins du dessus, ivres morts, déambulent autour de la table du salon sur le rythme hypnotisant de la « danse des canards », pour s’atteler à son grand œuvre, (ou du moins aux premières pages) celui qui lui permettra, enfin, de dénicher un éditeur digne de ce nom ?
Pas du tout. En période de fêtes l’auteur en devenir se comporte comme le dernier des consommateurs décérébrés venu : il réveillonne. Loin de la mesure élégante et un rien empesée que l’amour de la littérature lui confère en temps normal, il se sert une coupe de champagne dès son arrivée sur les lieux, puis deux, puis trois, et lorsque la bouteille est vide il se récure le gosier au pastis sans glaçon avant que d’attaquer le foie gras avec de vrais morceaux dedans tout en entonnant un florilège des chansons paillardes promptes à épouvanter le marquis de Sade en personne.
Il faut bien reconnaître qu’un comportement aussi révulsant étonne et déçoit de la part de quelqu’un qui, à jeun, ambitionne les plus hautes destinées éditoriales. Et permettez-moi de vous dire, jeunes amis décadents, que ce n’est pas en vous vautrant dans le stupre et la débauche que vous aurez une chance d’être édité un jour.
Cependant…
Cependant, n’existe-il pas, au cours de cette soirée marquée par le sceau infâmant de la déchéance intellectuelle, une minuscule oasis de sensibilité littéraire surnageant miraculeusement sur l’océan de médiocrité qui semble engloutir chaque convive ? (Même Jacques, le beau-frère, d’ordinaire si pincé, propose en hoquetant un « concours de tee-shirt mouillé » et menace de se jeter par la fenêtre si mamie Ghislaine ne participe pas.) ?
Oh ! Dites-le moi, je vous en prie !
…
Oui, ce moment existe (je vois qu’il faut tout faire soi-même), et se situe avec précision juste après la bûche glacée, dégoulinant cauchemar de diabétique parsemé de grotesques figurines en plastique figées dans une torpeur imbécile et censées représenter une cohorte de lutins en plein labeur.
C’est le moment des cadeaux, et c’est là où précisément l’auteur en devenir va pouvoir enfin donner tout e sa mesure (et tenter au passage de se laver tant bien que mal des turpitudes de début de soirée). Passons sur la gaine en polytunxstène de carbone de mamie Ghislaine, le GPS de Jacques qui depuis 25 ans fait tous les matins le même trajet Villetaneuse – Drancy, passons également sur le DVD « Comment aborder le tournant de la ménopause » que Jacques offre à Pauline, ce qui vaut à notre ami une retentissante paire de claques.
Oui, passons sur tout cela et concentrons-nous sur l’auteur en devenir.
Qu’offre-t-il ?
Des livres. Mais pas n’importe quel livre : des livres qu’il a écrits avec ses doigts, et fait publier à grands frais par l’un des nombreux éditeurs-charlatan qui pullulent sur le net.
Notre auteur, sûr de son fait, n’a pas fait les choses à moitié : chaque convive a droit à son exemplaire, avec une dédicace personnalisée (Pour Jacques, par exemple, nous avons :« A mon beau-frère, ma source d’inspiration principale pour le barman irrascible qui apparaît furtivement à la page 52 »).
Bien sûr, l’assistance qui a un peu de mal à réaliser toute la portée d’un tel présent, se regarde quelques minutes en chien de faïence tandis que mamie Ghislaine soupèse l’objet en se demandant s’il ne fera pas trop de bruit en tombant dans le vide-ordures collectif de son immeuble. Oui, les voisins sont très soupe au lait, et elle a déjà eu des problèmes avec des bouteilles en verre jetées après 20 heures).
Bien sûr, tout cela est bien embarrassant… Il faut dire qu’on a déjà eu du mal à finir le dernier Paulo Coehlo, alors on va tout de même pas se farcir le bouquin de ce prétentieux rien que pour lui faire plaisir…Les regards s’évitent, l’atmosphère s’épaissit…
Heureusement, Pauline, fine psychologue brisera ce moment de marasme intense en décrétant qu’ « il fait soif » et débouchera aussi sec une nouvelle bouteille de champagne. Dans la fouléee on allumera la télé histoire de voir comment les autres s’amusent, puis on s’assoupira gentiment dans le canapé en émettant des bruits de chaudière mal réglée.Au petit matin, on aura bien sûr oublié le livre.
Définitivement.
Bonnes fêtes à tous, quand même…
Tags : bien, devenir, l’auteur, jacques, mal
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Commentaires
1Lois de MurphyVendredi 21 Décembre 2007 à 23:58Répondre8FabienJeudi 17 Novembre 2011 à 16:099salamone giuseppeJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0910Sylvaine RinaldiJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0911BeaujeanJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0912QuentinJeudi 17 Novembre 2011 à 16:09
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