• a) Le style « officiel » 
    Il découle d’une tradition figée héritée des grands anciens. Citons pêle-mêle : Balzac, Stendhal, Zola, Hugo, Maupassant, Flaubert. Les phrases sont de longueurs variées, parfois longues, mais toujours équilibrées, agrémentées de nombreux adjectifs et d’adverbe. Les descriptions sont nombreuses et souvent touffues, un des buts étant d’être le plus précis possible. A cette époque où il n’y avait ni télévision ni cinéma, une des missions du romancier était de « donner à voir ». D’où souvent, pour le lecteur actuel, cette impression de surabondance descriptive un peu étouffante. Inutile de préciser qu’aujourd’hui, l’écrivain qui s’obstine dans cette voie se condamne d’une part à enfoncer les portes ouvertes et d’autre part à raser considérablement le lecteur dont l’imaginaire est déjà saturé d’images de toute sorte.

    Autre caractéristique, on n’ignore rien de ce que pensent les personnages et leurs états d’âmes sont rendus avec minuties. Les images et métaphores sont multiples et se fondent admirablement au récit.

    Nous avons ainsi l’idéal du « grand style » que s’efforcent d’atteindre nombres d’auteurs, considérant par là qu’il est impossible de faire mieux, et que quoiqu’il arrive, c’est comme ça et pas autrement que l’on se doit d’écrire. Sans vraiment réaliser que Balzac et consorts, aussi grand écrivains soient-ils, ont quand même plusieurs siècles d’ancienneté, et qu’il serait peut-être bon de prendre en considération les évolutions langagières qui sont advenues depuis lors.
    Quoiqu’il en soit, la maîtrise parfaite de ce style contribue à faire de vous un professionnel de l’écriture. Maîtrise qu’il n’est pas donné à tout le monde de posséder, avouons-le. Nombre d’auteurs en devenir s’acharnent à le singer sans en avoir –loin s’en faut – les capacités. Le résultat est la plupart du temps aussi risible que les mots qui sortent de la bouche d’un enfant lorsqu’il joue à « papa-maman ».

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  • b) Le style expérimental

    Pour simplifier, on peut dire que le style expérimental englobe toutes les tentatives plus ou moins laborieuses tentant d’échapper aux canons imposés par le style officiel. Autant dire que toutes les libertés sont permises, avec cependant un écueil de taille : le risque d’incompréhension, au premier degré. Plus la phrase s’écarte des chemins balisés, plus ce risque est grand. Le style expérimental est donc un exercice d’équilibre difficile entre nouveauté de la forme et adhésion au récit.
    Louis Ferdinand Céline qui a poussé jusqu’au point de ruptures ses recherches sur le style peut en témoigner. Un exemple prit dans la première page du « Voyage au bout de la nuit » :

    Ça a débuté comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. C'est Arthur Ganate qui m'a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. On se rencontre donc place Clichy. C'était après le déjeuner. Il veut me parler. Je l'écoute. « Restons pas dehors ! qu'il me dit. Rentrons ! » Je rentre avec lui. Voilà. « Cette terrasse, qu'il commence, c'est pour les oeufs à la coque ! Viens par ici ! » Alors, on remarque encore qu'il n'y avait personne dans les rues, à cause de la chaleur ; pas de voitures, rien. 

    En 1932, le roman fait scandale, notamment en raison de son style, jugé populiste, ordurier, pas convenable pour tout dire. Aujourd’hui, même si le scandale s’est évaporé, force est de constater qu’on est très loin du style « classique ». Toute sa vie, Céline a travaillé son style, jusqu’à le repousser jusque dans ses derniers retranchement : au fil des récits, il se fait de plus en plus haché et il est de plus en plus difficile pour le lecteur de s’y frayer un chemin. On le voit déjà un peu dans « D’un château l’autre » :

    la clientèle médicale, de vous à moi, confidentiellement, est pas seulement affaire de science et de conscience... mais avant tout, par dessus tout, de charme personnel... le charme personnel passé 60 ans?... vous pouvez faire encore mannequin, potiche au musée... peut être ?... intéresser quelques maniaques, chercheurs d'énigmes?... mais les dames? le barbon tiré quatre épingles, parfumé, peinturé, laqué?... épouvantail: clientèle, pas clientèle, médecine, pas médecine, il écoeurera!... s'il est tout cousu d'or?... encore!... toléré? hmm! hmm! mais le chenu pauvre?... à la niche!


    Cette radicalisation atteindra son paroxysme avec « Rigodon ». D’ailleurs, à cette époque, juste avant sa mort, Céline n’est plus un gros vendeur, loin s’en faut. (De toute façon, le roman a été publié 7 ans après la mort de l’écrivain) Sa lecture demande sans doute trop d’effort au lecteur lambda. Peut-être a-t-il poussé trop loin le style « expérimental » ? D’un point de vue artistique, sans doute pas ; d’un point de vue strictement commercial, on peut gager que son éditeur eut préféré lui voir écrire un nouveau voyage tous les deux ou trois ans, bien balisé dans sa modernité et finalement rassurant pour tout le monde.
    Vous l’aurez sans doute compris par vous-même, mieux vaut éviter de se lancer dans la recherche d’un style à tout prix novateur si vous voulez recueillir autre qu’un bâillement ennuyé de la part de votre lecteur. Là encore, ce n’est pas donné à tout le monde et il ne suffit pas, à l’instar de Christine Angot, de reproduire sur le papier les fulgurances qui traversent votre crâne pour faire œuvre de nouveauté.
    Mais alors, me direz-vous une lueur d’angoisse dans l’œil, quel style adopter, puisque nous n’avons pas les capacités pour écrire « classique » et que l’ « expérimental » ne nous mènera à rien. La réponse est d’une simplicité désarmante : utilisez vos mots, ceux qui sont accordés à votre sensibilité, sans en faire trop ni pas assez. Evitez comme la peste les « à la manière de » qui par définition sonne faux et ne reflète pas votre personnalité. Ne chercher pas à la trahir en la travestissant, optez pour la sincérité. S’il advient que votre personnalité ainsi retranscrite ne présente aucun intérêt, pas d’inquiétude, on vous le fera savoir. Mieux vaut ça que d’être recalé pour ce qu’on n’est pas et qu’on ne sera jamais.
    A cet égard, les Etats-Unis présente un modèle plus sain (même si le style classique, chez eux, a depuis longtemps déployé ses longs tentacules sur le monde littéraire). Pour eux, l’histoire prime, et si elle est bonne, peut importe que votre style soit plat , elle plaira. Est-ce l’influence du cinéma, grand pourvoyeur et dévoreur d’histoire ? Peut-être. Aussi trouve-on là bas quantité d’écrivains, célèbres où pas, dont le seul but est de construire des récits plaisants, et qui s’accommodent sans complexe d’un style que l’on pourrait qualifier de fonctionnel, et qu’en France on appelle « plat », injure suprême !(des gens comme Stephen King ou Dan Brown, par exemple).
    Donc, une suggestion : pour quoi ne pas faire traduire votre roman par Google et démarcher les éditeurs américains ?

    Quelques trouvailles stylistiques qui ont déjà été exploitées (donc inutile d’y revenir)

    Le récit sans ponctuation : Les 100 dernières pages de l’ « Ulysse » de James Joyce sont ainsi rédigées. Il s’agit d’un monologue intérieur, soit. Quoiqu’il en soit, c’est absolument redoutable. Mais il s’agit de James Joyce. Toute autre tentative (et il y en a eu !) est vouée à l’échec et au ridicule.

    Le récit à la seconde personne du pluriel. Dès 1957, Michel Butor explore ce procédé dans « la modification ». Le lecteur se retrouve ainsi projeté dans l’histoire en temps que – si j’ose dire – « acteur passif ». C’est intéressant, mais cela reste très connoté « nouveau roman ».

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