•  Alors que chacun d'entre nous se pique, à l'instar de Florent Pagny, d'une totale liberté de penser, la question mérite d'être posée.
    D'autant que la réponse à laquelle je suis parvenu après des heures de méditation intensive met à mal cette illusion de libre-arbitre qui nous habite tous lorsque nous nous promenons au milieu des étals des librairies :
    on achète un livre,  parce qu'on nous a dit de le faire.
    Tout simplement.
    Bien sûr, le "on" en question peut revêtir une multitude de formes, plus ou moins pernicieuses : cela va du bon ami qui déboule dans votre salon en s'écriant: "Sapristi, ce bouquin envoie du steak ou je ne m'y connais pas ! Il faut absolument que tu le lises !" à l'article de magazine spécialisé (la Quinzaine littéraire, Biba, etc), en passant par la publicité toute bête.
    Quoiqu'il arrive une chose est sûre : l'acte d'achat est toujours motivé par une influence extérieure. Et même lorsqu'on batifole autour de la table des nouveautés, on ne passera jamais à la caisse sans au moins avoir lu la quatrième de couverture qui n'est rien d'autre, tout compte fait, qu'une incitation à dépenser son argent.
    Bon, vous allez me dire que je suis en train d'enfoncer une porte déjà largement ouverte. C'est vrai, c'est probablement parce que ça fait moins mal. Mais restons sérieux un instant, car vous êtes cependant loin d'imaginer à quel point le système de la prescription est efficace lorsqu'il est appliqué à grande échelle...
    En Angleterre, il existe depuis plusieurs années un talk-show animé par un couple, Richard Madeley et Judy Finnigan, la cinquantaine propre sur eux, qui draine une dizaine de millions de téléspectateurs. Une fois par semaine, nos deux comparses présentent un livre qui leur a drôlement plu. Bon, pour dire la vérité, c'ets la productrice de l'émission qui les choisit pour eux, mais on s'en fiche, le résultat est le même : dans les semaines qui suivent la diffusion, les ventes dudit roman augmentent de 3000% ! Rien que sur la première année, les ventes tout titre confondu se sont élevées à 25 millions d'exemplaires et on en est à 60 millions aujourd'hui. Impressionnant, d'autant que les bouquins mis en valeur ont bien souvent été écrits par des auteurs inconnus du grand public, voire par des primo romanciers, comme Victoria Hislop qui après que son livre fut élu "lecture de l'été 2006", s'est maintenu pendant 14 semaines au top des ventes. Pivot, à côté, c'est la force de frappe d'une feuille de choux ronéotypée à 50 exemplaires.
     Tout cela est bien beau (surtout pour les éditeurs) mais pose tout de même un problème que je m'en vais illustrer sans plus attendre.
    Je lisais l'autre jour le blog de Pierre Assouline (l'homme qui a arrêté récemment le café) lorsque je tombe sur un billet consacré à un petit livre de Philippe Garbit "L'invitation à dîner : Et autres récits venimeux ". L'article est tellement bien tourné, flatteur sans être obséquieux, attirant sans être aguicheur que mon sang ne fait qu'un tour : direction amazon, clics frénétiques, numéro de carte bleue, vous connaissez le topo. Quelques jours plus tard je reçois le livre, que je commence en me pourléchant mentalement les babines (sinon ça fait pas propre). Et là, grosse, énorme déception : c'est carrément mauvais, à tel point que j'abandonne ma lecture pour me plonger aussitôt dans une revigorante étude du catalogue des 3 Suisses (Printemps/Eté, celui avec les maillots de bain) qui me permet d'oublier un peu mon désarroi.
     Par la suite, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si je n'avais pas été la victime d'un "coup de pub" de la part de Pierre Assouline, qui aurait tout simplement donné un petit coup de pouce à un bon vieux copain par le truchement de son blog. Bien sûr, je ne le saurais jamais, mais le doute subsistera pour toujours dans mon esprit désormais tourmenté.
     D'où ma conclusion, effrayante (je vous aurais prévenu) : s'il est possible de berner avec une telle déconcertante facilité un être aussi évolué et malin que moi, imaginez ce que cela doit être pour vous, pauvres petites créatures naïves et crédules ! Tous ces livres que vous vous êtes empressés d'acheter, bercées par les douces et fallacieuses promesses d'une voix faussement amie ! Toutes ces fois où vous avez succombé au mielleux PPDA vous jurant, la main sur le coeur et une larme au coin de l'oeil, qu'il n'avait de sa vie jamais rien lu d'aussi beau (ce qui, dans un sens n'était pas faux, car PPDA ne lisait PAS les livres qu'il présentait, et se contentait le plus souvent d'une fiche de lecture rédigée à la hâte par une jeune et accorte stagiaire).
    Aussi je me permets de vous adresser cet avertissement solennel : méfiez-vous des conseils, surtout s'ils proviennent d'une voix soi-disant autorisée et compétente. Souvenez-vous du cas ô combien emblématique des "Bienveillantes", le livre que tout le monde a acheté, mais que personne n'a lu (du moins jusqu'au bout). N'y a-t-il pas eu là encore, et sur une grande échelle, tromperie sur la marchandise ?
    Le plus cocasse, c'est que les auteurs en devenir auto-édités sont parfois eux aussi tenté par le coup de la prescription. Sauf qu'ils ne connaissent aucun journaliste qui pourrait parler de leur livre (et d'une manière générale, il ne connaissent personne qui serait en capacité de parler de leur livre, puisque personne ne l'a lu). Ils se lancent donc à corps perdu dans une pathétique opération que je nommerai l'auto-buzz, et qui consiste à submerger les forums littéraires d'appréciations outrageusement dithyrambiques sur leur production, signées par une multitude de pseudos qui ne dissimulent en réalité qu'une seule personne : le machiavélique auteur. Certains vont même jusqu'à conclure leur logorrhée hagiographique par un touchant : "Je tiens à préciser que je ne suis pas l'auteur de cet incroyable chef d'oeuvre, ni un de ses amis, mais que j'aurais bien aimé parce que vraiment, qu'est-ce que c'est bien". Autant dire que la plupart du temps, ce genre de combine se solde par une augmentation des ventes de 3000% (3000% de zéro restant malgré tout assez proche du néant).
    Il existe toutefois un auteur qui a su pousser cette démarche jusqu'à l'absurde avec un talent certain, c'est J-P Bâchet. Le personnage m'a tellement intrigué que j'ai voulu commander son livre "Eddy Magior contre les puissances des ténébres" (ce titre...) . Las, mal m'en a pris : j'ai attendu la livraison pendant plus de deux mois, en vain : l'éditeur, sollicité par amazon, était dans l'incapacité de fournir.
     Alors, J-P, si tu me lis...


    On ne l'a fait pas à Florent Pagny : même sa
     feuille d'impôt, il refuse de la lire.


    En complément, voici un lien vers une émission d' "arrêt sur image" qui traite de la critque et de la complaisance à la télévision, très intéressant.
    LIEN
    Merci à Aphasique pour cette information


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