-
Par Aloysius-Chabossot le 20 Mai 2017 à 12:00
Evitez de vous dévaloriser.
Cher Monsieur,
Titulaire d’un BTS en action commerciale, je me lance aujourd’hui dans le roman. Dans ce cadre, j’ai écrit une sorte d’histoire intitulée « La médiocrité pour étendard » dont les grandes lignes, je ne vous le cache pas, empruntent quelque peu le déroulé de ma modeste et fastidieuse existence.
C’est en toute humilité que je soumets aujourd’hui mon manuscrit à votre approbation, même si je sais, au fond de moi, que ça ne vaut pas grand-chose.
Si, par le plus grand des hasards, vous arriviez au terme de mon manuscrit, vous constaterez que l’histoire se termine de façon un peu abrupte. C’est tout simplement que je ne savais plus quoi raconter. Je dois avouer que l’imagination n’est pas mon fort J’ai également un peu de mal avec la psychologie des personnages et les descriptions de lieu, mais vous vous en rendrez sans doute compte par vous-même.
Dans l’attente de votre lettre de refus, je vous prie, etc.
<signature illisible>
J'ai oublié de vous dire : j'ai été éliminé en quart de finale
du concours départemental d'accordéon de la Nièvre en 2010
5 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 10 Avril 2012 à 12:00
Pour attirer les faveurs d'un éditeur, inutile de faire comme si vous étiez voisin de squat. Simple question de bon sens : a-t-on déjà vu un éditeur habiter dans un squat ?
Hi mec !
Je kiffe trop grave ta boîte d’édition, mec, ma parole, les bouquins que tu publies, c’est que des trucs de malades qui déchirent leurs mères, j’hallucine total.
Dans l’enveloppe tu vas trouver mon roman. Attention, mec, ce que tu vas tenir entre tes mains c’est de la pure bombe atomique. Je l’ai écrit en huit jours, sous ecsta, je te raconte pas l’hallu ! Franchement, j’étais tellement déchireé que je peux même pas te dire de quoi ça parle exactement, mais c’est de la balle, tu peux me faire confiance.
Tout ce que je sais, c’est qu’il y a un héros qui s’appelle Vince, genre grand blond ébouriffé avec une balafre sur la joue, habillé en cuir noir, enfin tu vois le tableau. Et alors ce type, il lui arrive des trucs, mais tu peux même pas imaginer, des trucs mais graaaave de chez grave. Ah oui, ça se passe dans un futur cybernétique avec des bagnoles équipées d’ailerons qui flottent dans les airs grâce à des propulseurs (ouais, un peu comme des avions, quoi), tout le monde est obligé de bosser 160 heures par semaine et plus personne n’a le temps de regarder la télé et du coup ça entraîne une méga rébellion, parce que les gens sont grave gavés, tu comprends ?
Bon je te passe les détails, tu vas trouver tout ça dans le bouquin. Et sérieux, c’est pas pour me la péter mais je te dis que tu vas halluciner méchant en le lisant, ma parole !
Bon, je te laisse. Quand tu as fini, just call me sur mon cellulaire, c’est plus simple. On se fixe un rancart et on discutera du contrat autour d’un bon bédot chargé comme un boat people, ça va être l’éclate !
Shake, man !
Bob Duvergnon, alias Cyber Priest
Fuckyou et Asshole, les deux premiers lecteurs de Bob
votre commentaire -
Par Aloysius-Chabossot le 22 Février 2012 à 12:12
Monsieur,
C’est aujourd’hui votre jour de chance puisque vous avez en ce moment même l’incommensurable privilège de tenir entre vos mains mon manuscrit intitulé « Ovidé acariâtre, canidés belliqueux » (sous-titré « Le quotidien d’un facteur en Picardie »).
Autant vous dire que ce roman, que je porte en moi depuis mes débuts à la poste de Saint-Aubin-sous-Erquery, est l’œuvre de toute une vie.
Aussi que les choses soient claires dès le départ : en aucun cas je ne tolérerai que vos sales petites mains besogneuses changent ne serait-ce qu’une virgule à mon texte, comme cela se pratique usuellement dans vos douteuses officines.
Est-ce bien entendu ?
Concernant le contrat que vous aurez l’obligeance de me faire parvenir sous huitaine, notez bien que la répartition des bénéfices colossaux qui vont découler de la commercialisation de mon roman s’établira comme suit : 20% pour vous et votre petit personnel, le reste pour moi. Inutile de discuter, ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, et vous ne me ferez pas croire qu’avec la sophistication des photocopieuses modernes, imprimer un livre coûte cher.
Si par bonheur votre décision est prise et que votre enthousiasme n’a d‘égal que votre empressement à me rédiger un contrat, sachez, cher Monsieur, que votre fortune est faite (et ce sera une bénédiction, quand on voit l’état de délabrement avancé qui accable votre société depuis des années).
En effet, je travaille actuellement à une suite d’« Ovidé acariâtre, canidés belliqueux » qui retracera avec l’inimitable faconde qui me caractérise mes pérégrinations postales dans la campagne picarde entre 1976 et 1981. Les millions de lecteurs qui auront acquis le premier tome ne manqueront pas de se ruer comme des mouches sur le second. (Il sera alors grand temps, je ne vous le cache pas, de réviser les conditions du contrat afin de réévaluer à sa juste valeur le travail qui est le mien.)
Maintenant, si dans je ne sais quel accès de démence sénile vous étiez amené à refuser mon livre, sachez que vous n’êtes pas le seul éditeur en France, et qu’à l’heure qu’il est nombre de vos confrères parmi les plus prestigieux, sont d’ores et déjà occupés à ourdir de sombres complots dans le fol espoir de me compter parmi leurs auteurs maisons.
Alors avant de me renvoyer une de vos lettres de refus standard, faites un peu preuve d’humilité et réfléchissez bien.
Votre dévoué,
Alfred Duchaussois
Alfred Duchaussois, le grand frisson garanti
1 commentaire -
Par Aloysius-Chabossot le 30 Janvier 2012 à 16:05
Un jeune ami à moi, fringuant chef de service dans une prestigieuse compagnie d’assurance, et heureux auteur d’un roman fraîchement sorti de son Macbook flambant neuf, m’a récemment demandé conseil sur cette fameuse lettre d’accompagnement jointe au manuscrit.
Ma réponse a été la suivante (vous remarquerez au passage l’aisance avec laquelle je m’exprime à l’oral) :
« Sachant que les lecteurs des maisons d’édition, dans la plupart des cas, ne passent que quelques minutes sur un manuscrit, vous pensez bien qu’ils ne vont pas, en plus, perdre leur temps à lire une longue tartine où le pauvre écrivain tente de démontrer tant bien que mal à quel point son roman est formidable, intéressant et novateur. Car si c’est le cas, le monsieur sera assez grand pour le découvrir par lui-même. Si ce n’est pas le cas, il réalisera très vite l’abîme qui sépare vos vantardises calligraphiées et la piteuse chose dactylographiée que vous lui soumettez. Ainsi vous vous couvrirez de ridicule, ce qui n’est jamais agréable, même à distance »
A ces propos, mon jeune ami s’est longuement massé le menton tout en soulevant le sourcil droit, puis s’est exclamé : « Dans ce cas, inutile de joindre une lettre !»
Eh bien ! Curieusement, si. Je sais que ça peut paraître curieux, voire un peu absurde, mais s’il n’y a pas de lettre, vous passerez pour un malpoli, un mal élevé, un arrogant pire que François Hollande : le manuscrit n’a pas encore été ouvert que vous êtes déjà mal barré.
La solution : faire court, pour ne pas lasser. Une dizaine de lignes tout au plus, où vous pourrez bien mettre ce que vous voulez (voir explication plus haut) dès lors que le propos est sensé et cohérent.
Erreurs à ne pas faire toutefois :
- Joindre un CV : ce serait catastrophique. Pensez-vous vraiment que votre CDD de 6 mois en tant que manutentionnaire au Carrefour de Pithiviers puisse intéresser un éditeur ? Ou que votre pratique de l’anglais, se situant à un « niveau scolaire » éveille en lui une quelconque étincelle d’intérêt ? Va-t-il être fasciné d’apprendre que durant vos heures perdues vous n’aimez rien tant que de taquiner le goujon en bord de Seine ?
La vérité est que tout le monde se fiche de votre cursus professionnel, ce qui compte, c’est l’écrit.- Joindre une photo : tout le monde se moque de savoir à quoi vous ressemblez. Et pour celles et ceux qui pourraient être éventuellement tentés de jouer sur leurs charmes naturels en glissant dans l’enveloppe une illustration avantageuse de leur anatomie, sachez que pour être édité, il n’existe pas de « promotion canapé ». Car, après quelques moments de félicité bien vite passés, devinez qui devrait se farcir les invendus de « Mes vacances dans le Cotentin » ?
- La liste des refus essuyés chez les éditeurs concurrents : si le but est d’attendrir, oubliez tout de suite : la pitié ne marche jamais en affaire. Et puis franchement, c’est un peu comme si un cuisinier en recherche d’emploi envoyait aux recruteurs la liste des clients qu’il a précédemment empoisonnés.
- Un synopsis : c’est une idée très à la mode chez les auteurs en devenir. Mais dans quel cerveau atrophié a-t-elle bien pu germer, je l’ignore. De grâce, ne confondons pas roman et scénario ! Depuis quand une histoire résumée sur quelques lignes peut laisser présager d’une écriture, d’un style, d’un souffle, d’une originalité ? Imaginez Marcel Proust envoyant le synopsis de A la recherche du temps perdu : « Le jeune Marcel se souvient de son enfance avec nostalgie. Une fois adulte, il fréquente des salons, rencontre des gens variés. Des histoires d’amour se nouent, parfois ». Et pourquoi pas un « pitch », pendant qu’on y est ?
- Deux bons de réduction pour Euro Disney : on n’achète pas un éditeur.
- Des menaces à peine voilées : un éditeur n’a peur de rien.
Et soignez votre écriture, pas comme ce cochon de Marcel.
18 commentaires
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique