Une nouvelle inspirée d’un article lu sur le blog dont je livre ici quelques paragraphes.
Quel ennui ! Ces pages empilées, ces récits comme une tour branlante qui tous racontent la même histoire. Il ne viendra donc jamais ce conte unique, jamais
écrit, jamais songé, ce pan d’un monde que moi seul, dans ce bureau nu, aurai le privilège de lire le premier comme on découvrait jadis une terre vierge de traces humaines, le pied hésitant, la
gorge nouée, la joie au ventre. Fouler de ses pieds fatigués, crevassés par le temps, un sable sculpté par le vent et des siècles de silence !
Désir chimérique…Je le sais moi qui écume au fil de mes jours les pages noircies et les chapitres dévidés par des inconnus disséminés aux quatre coins
d’ailleurs. Inconnus des deux sexes, de tous âges et qui pourtant à travers leurs mots se ressemblent comme deux gouttes d’eau issues du même ovocyte.
Tous semblables, façonnés dans la même matrice, issus des mêmes désirs, pétris de cette même glaise périssable et humaine, nous multiplions en longues
ribambelles de papier nos corps éphémères.
Si, au hasard de ces pages empilées, je lisais ces quelques lignes, celles-ci, celles qui viennent de s’écrire sous mes doigts, j’en vomirai c’est sûr.
Pour moi, c’est différent. Je fais semblant d’écrire. J’écris mais je n’y crois pas une seconde. Foutaise que ces mots qui s’alignent dociles et bien rangés. Tout a
été dit, bien dit, mal dit mais dit tout de même. Et entre nous, l’histoire des hommes mérite-t-elle qu’on s’y attarde aussi longuement. Des heures passées sous la lampe, les jambes croisées, la
respiration courte pour coucher sur le papier ce que l’on sait tous déjà…Qu’il n’existe rien au delà de nos courtes limites…Quelle découverte ! Foutaises que tout cela, vous
dis-je.
J’écris le soir quand je rentre chez moi, après le travail. On m’objectera que je devrais faire autre chose, broder ou faire du vélo car passer la journée à lire,
trier, mettre au panier les petites histoires des autres est un exercice fastidieux qui devrait m’éloigner des livres et de tout ce qui ressemble à du papier.
Mais non, libéré de mes occupations professionnelles, je remets le couvert mais sur ma propre table.
Comme je l’ai déjà dit un peu plus haut, je fais semblant. Tout ce que j’écris, ne pourra être retenu contre moi. On ne m’y prendra pas à étaler mes tripes et mon
sang sur du joli papier tout neuf. On s’écartèle, on répand partout sa substance, pour quoi ? Pour finir dans une corbeille à papier bourrée à ras bord, pour jaunir sur une étagère ? Le jaune ne
sied pas à mon teint, qu’on se le dise !
Non merci, très peu pour moi. Je préfère l’anonymat de ma chambre, les belles pages bien propres et bien lisses, les petites histoires inutiles. Elles ont le
mérite de n’avoir aucune ambition que celle d’exister gentiment au fond d’un tiroir. Exister au fond d’un tiroir c’est exister tout de même n’est-ce pas ?
Parfois, pour faire tout à fait semblant, je retiens mes doigts qui ne font qu’effleurer les touches du clavier, les phrases coulent muettes, invisibles. Les phrases
et le temps se confondent, inodores, incolores. Je ne dirai rien qui puisse m’investir d’une quelconque émotion. Pourtant j’écris ! Regardez mes doigts qui s’agitent !
Je sais, on ne paie pas si mal pour passer mon temps à rêvasser entre les piles de manuscrits qui s’entassent. Il faut les trier, les départager sans perdre trop de
temps. Mon temps est précieux, c’est ce que l’on m’a dit et lorsque l’on vous affirme cela droit dans les yeux, qui serait assez idiot pour penser le contraire ?
A gauche se trouve la pile des « bof » autrement dit des retours à l’envoyeur, au milieu le petit tas des « pas mal ! » et à droite ma tasse à café.
Généralement, je lis le premier chapitre en entier, s’il n’est pas trop long. A ce moment, j’opère une première sélection qui conduit la plupart du temps le manuscrit dans la pile de gauche,
toutefois si le style et l’histoire m’accrochent, m’égratignent et que ça saigne un peu, je continue ma lecture en piquant de-ci, de là, quelques pages au hasard.
Il arrive souvent que cette lecture approfondie, c’est ainsi qu’on l’appelle, sans doute par dérision, se termine malgré tout par un aller-simple dans la pile de
gauche. Cela arrive presque toujours. La pile du milieu ne compte que quelques privilégiés qui ne sont cependant pas arrivés au bout de leur chemin de croix car là-bas, dans le bureau voisin, se
trouve un comité de lecture à qui on ne la fait pas……