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Brive, 3 jours de sexe et de folie furieuse (3)
Ce samedi matin, j'arrive sur le salon vers 10 h 20. On nous avait dit 10 h, mais mon esprit d'incorrigible rebelle m'a dicté de reprendre un croissant, un pain au chocolat et un double expresso au buffet de l'hôtel. Ensuite, j'ai fait un tour dans le fameux marché de Brive, à l'affût du fantôme de Georges Brassens. Après avoir soulevé quantité de bottes de radis, de salades de toute espèce et de clapiers à lapin sous l'oeil réprobateur des commerçants du cru, j'en ai finalement conclu qu'il avait dû s'envoler depuis longtemps. Devant la halle qui accueille la foire, une foule compacte et disciplinée attend patiemment de se faire palper par la police locale avant que de côtoyer enfin le gratin de la littérature française. Pour ma part, je passe par la porte réservée aux auteurs, en brandissant crânement mon badge sous le nez du cerbère chargé des contrôles.
A l'intérieur, la foule s'écoule en masse compacte le long des stands, telle une coulée de lave (c’est beau, non ?). J'arrive péniblement à ma table de signature encore vierge, où un vieux monsieur m'attend. "Voilà, m’explique-t-il, j'ai 83 ans et j'ai dans l'idée d'écrire un roman. Pour tout dire, j'ai déjà commencé, j'en suis à la trentième page."
"Bien, bien" rétorquai-je fort à propos.
Il poursuit : "C'est que j'ai eu une vie bien remplie, j'ai rencontré beaucoup de gens passionnants, j'ai même taillé le bout de gras avec Saddam Hussein, pendant 20 minutes".
"Bien, bien" répliquai-je du tac au tac (Il faut dire que je ne suis pas encore bien réveillé).
Le vieux monsieur est charmant, il finit par acheter mon livre, que je lui dédicace avec le plus grand plaisir. "Les affaires démarrent très fort ! " me dis-je in petto. Les deux heures suivantes n'auront hélas de cesse de contredire mon bel enthousiasme initial, et, abruti par le brouhaha ambiant, je manque à plusieurs reprises de m'écrouler de ma chaise, accablé par l'ennui et le désœuvrement.Vers 11 h je décide de me ressaisir et pars faire un tour dans les allées. Aujourd'hui, toutes les vedettes sont à pied d'oeuvre, et ça dédicace à tour de bras derrière les stands assaillis par une foule en extase : "Oh ! Regarde ! C'est Sébastien Follin !" J'ignorais pour ma part que ce brave garçon avait écrit un livre... Et là ! Yves Rénier ! Ah... Lui aussi écrit ? Mais... N'est-ce pas Hervé Villard, là ? Mais si ! Juste à côté de Jean-Louis Debré (ils doivent avoir des foules de choses à se raconter). Un peu plus loin, c'est Antony Delon, de l'autre côté, Mylène Demongeot. D'un coup, je suis fier d'habiter en France, cette belle patrie où tout un chacun (dès lors qu'il passe à la télé) est irrémédiablement habité par la grâce de l'écriture. Vous qui n'arrivez pas à terminer votre deuxième chapitre, que la honte s'empare de vous à tout jamais ! Et prenez donc exemple sur Sébastien Follin qui, malgré son travail harassant de météorologiste cathodique, trouve le temps - et le talent !- de torcher 250 pages comme qui rigole !
De retour sur mon stand, je fais part de ma ferveur cocardière à Caroline Sers qui, sans aucun ménagement pour mon insondable candeur, remet les pendules à l'heure : ces gens, pour leur grande majorité, n'écrivent pas leur livre... Pas le temps, et surtout pas les capacités...
La claque !
Qui alors ?
Des "nègres" (les Anglo-saxons parlent plus élégamment de "ghostwriter"), généralement appartenant au milieu de l'édition, qui dans l'ombre triment pour les autres. Oh ! Ils ne sont pas particulièrement à plaindre, chacun de ces travaux de commande leur rapporte entre 15 ou 20 000 euros forfaitaires, parfois même ils bénéficient d'un pourcentage sur les ventes. Mais si financièrement, il s'agit d'une bonne affaire, qu'en est-il de l'ego, hein, le fameux ego de l'auteur ? Eh bien ! Ils s'arrangent avec, plus ou moins bien. Lou Durand, le "nègre" de Paul-Loup Sulitzer (qui, s'il sait compter, ignore tout de l'écriture) était malade de constater que ses romans passaient inaperçus alors que ceux de son "employeur" se vendaient dans le même temps comme des petits pains. Comme on le voit, on aurait d'ailleurs tort de croire que seules les "vedettes de la télé" n'écrivent pas leur livre, quelques romanciers jouissant d'un certain renom n'ont fourni, dans le meilleur des cas, que de vagues trames écrites avec le pied. Mais leur nom ne circule pas, car une clause de confidentialité figurant dans le contrat rend les "ghostwriters" particulièrement méfiants : il serait dommage de tuer la poule aux oeufs d'or pour le simple plaisir de fanfaronner auprès de ses connaissances... Sachez toutefois qu'un prix Goncourt lycéen fait partie de ces auteurs manchots, ainsi qu'une belle Eurasienne au patronyme lacanien. Elle était d'ailleurs présente à Brive, et j'ai beaucoup ri à la voir minauder face à un admirateur qui lui déclarait, la voix vibrante d'émotion : "J'aime beaucoup ce que vous faites".
Deux anecdotes piquantes pour en finir : un éditeur avait demandé à un rugbyman célèbre un livre de mémoire. Comme toujours dans ces cas-là, on a dépêché un "nègre" pour "accoucher" le futur "auteur". Lors de leur première rencontre, le sportif expose sa conception de l'ouvrage devant l'écrivain médusé : voilà, il voudrait faire un truc comme le bouquin de Bernadette Chirac, là, celui où elle donne son avis sur la vie, la mort, Dieu, la famille et la couleur des chaussettes de son mari, un machin profond, quoi. Il a fallu que notre homme déploie des trésors de patience et de diplomatie pour convaincre le rugbyman que euh, ben ce qu'attendait peut-être le lecteur potentiel, c'était plus des histoires de maillots mouillés et de troisième mi-temps totale folie que des considérations philosophiques sur le sens de la vie.
Deuxième histoire : un académicien, qui a pour habitude de ne pas écrire ce qu'il signe (sans doute trop débordé par les travaux de l'Académie) téléphone à son écrivain-soutier : "J'ai lu mon livre. Félicitations, c'est tout à fait moi !" A ce stade-là, on peut carrément parler de schizophrénie...
Bon, tout cela est bien joli, mais Marc Lévy, il écrit ses romans, lui ? Alors là, nous nous portons personnellement garant de l'honnêteté absolue du bestseller-man en la matière. Preuve indiscutable : si ses histoires étaient écrites par d'autres, elles seraient forcément mieux, beaucoup mieux torchées. Une autre immaculée pure et dure : Amélie Nothomb. Elle est d'ailleurs là, à quelques mètres de moi, sur le stand Albin Michel. A ses côtés, sa soeur qui a écrit, tenez vous bien, un livre de recettes intitulé "La cuisine d'Amélie". Une affaire de famille, en somme, au contenu à n'en pas douter tout à fait passionnant... Mais cela ne s'arrête pas là. A la gauche d'Amélie se trouve Tom Verdier. Qui c'est celui-là ? Le petit ami d'Amélie, tout simplement (oui, je sais, moi aussi, jusqu'à présent je pensais qu'Amélie Nothomb était un être asexué, ou alors se suffisant à lui-même, comme les escargots). On imagine facilement que sans le petit coup de pouce providentiel de l'écrivaine à succès, le roman – sans doute exquis - de ce joueur de poker plus ou moins professionnel serait probablement resté à jamais au fond d'un tiroir.
Devant notre table passe une quantité impressionnante de badauds, en transit pour la planète Amélie. Du coup, c'est à peine s'ils jettent un oeil morne sur les livres qui s'étalent devant eux. Il faut dire que l'on ne fait pas beaucoup d'efforts pour retenir le chaland. Pas comme ceux d'en face, une maison d'édition régionale dont les auteurs se dépensent sans compter pour refourguer leur production. J'observe, fasciné, la tactique d'un vieux monsieur qui, les mains dans les poches, l’air de rien, se tient à un mètre de son emplacement. Dès que quelqu'un passe, il fond telle l’araignée sur sa proie, le dirige subtilement mais fermement vers son étal et commence à lui faire l'article. Rien que de le regarder faire, je sens la fatigue m'envahir. Je suis à deux doigts de piquer du nez lorsque Emilie vient nous faire un brin de causette. Elle vient de s'entretenir longuement avec Christine Devier-Joncourt qui est présente incognito sur le salon (et pour cause, depuis "la putain de la république" et sa fugace exposition médiatique, elle n'a plus rien fait). En fait, elle est à la recherche d'un éditeur jeunesse pour publier un roman illustré (par ses soins) se situant, selon elle, entre "J-K Rowling et J.R.R Tolkien", en toute modestie, bein sûr. Elle voudrait cependant le signer de son nom, car à son avis, il jouit encore d'une certaine notoriété. Imaginez le casse-tête pour le staff marketing d'une maison d'édition chargé de promouvoir un livre jeunesse écrit par "la putain de la république" ! Emilie lui a gentiment suggéré d’envoyer son manuscrit par la poste.
L'après-midi s'étend, interminable... A 7heures moins le quart, les nerfs prêts de craquer, on quitte le stand. Au passage, Bettina Heinrichs m'interpelle : "Vous venez en boîte, ce soir ? Tout le monde y sera !" Ca serait avec plaisir. Reste à convaincre mes collègues, mais ça ne sera pas chose facile, car eux, des salons, ils en mangent toute l'année, alors le soir, c'est dodo. On verra bien...
On a vu. Ou plutôt, on n’a rien vu du tout. Après le resto, plutôt très bruyant, on avait tous la tête comme des citrouilles, avec une seule idée en tête : le lit (mais juste pour dormir). Je regrettais un peu ma soirée en boîte : j'imaginais les dizaines de tableaux croquignolets que j'aurai pu vous rapporter ici même...
Une fois réfugié dans ma chambre, je réalise que je me suis trompé de jour pour le film coquin : samedi soir, c'est maintenant ! Chouette ! Ben non, pas chouette du tout. En fait, je suis réellement fatigué. Je me glisse sous les draps, le casque du mp3 sur les oreilles... Bang Gang...
Et rideau !
De notoriété publique, Antony Delon est un des plus mauvais acteur du monde.
En revanche, c'est à n'en pas douter un brillant écrivain.
Hervé Villard, en panne de Régécolor, mais pas d'inspiration.
(A sa gauche, le crâne altier de J-L Debré, occupé à dédicacer un Kleenex)
Tags : bien, livre, amelie, stand, auteur
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Commentaires
1SebSamedi 15 Novembre 2008 à 21:58RépondreMais qui oserait croire à une fugue, un enlèvement, un voyage au bout du monde, un abandon du lecteur, une sortie à pas de loup, un licenciement abusif, une coupure de courant qui dure??? Qui oserait cela sans en avoir la larme à l'oeil? Une notoriété soudaine...oui, voilà! Vous êtes devenu célèbre...et de tous vos romans, bien evidemment le dernier reste à jamais gravé...dans mes neurones de paresseuse pas sonnée...c'est dire le compliment que là je fais... BAV trés cher et que le vent vous porte! (enfin un truc dans le genre quoi...)La littérature c'est pourri.Bonjour. Nous avons le même intérêt pour la littérature! Je viens juste d'arriver sur over-blog et de créer mon propre blog... Je suis écrivain et j'ai eu l'idée de raconter mon parcours dans le monde des lettres; je vais aussi donner des conseils pour être publié mais aussi parler de mes lectures, de mon écriture, des mes passions... Est-ce qu'il serait possible de mettre mon blog dans vos liens? Merci Marc17victoriaJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0918BeldrakJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0919stephJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0920minieJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0921victoriaJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0922salamoneJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0923FG lJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0924MarieJeudi 17 Novembre 2011 à 16:0925kimMercredi 25 Septembre 2019 à 12:04J'apprécie le travail de DR SUNNY pour le travail bienveillant qu'il a accompli pour moi. J'ai été séparé de mon mari pour le laissez-passer d'un an. C'était très pénible, car les enfants manquaient à leur père. Moi-même, j'étais seul, je lui ai supplié. pour me pardonner de ce que j'ai fait, il a refusé mes appels et n'a jamais répondu à mes messages, c'était très dévastateur. mais j'espère qu'il me reviendra très bientôt. a rendu visite à plusieurs médecins spirituels et ils ne pouvaient pas le ramener à moi, mais un soir, j'ai vu un commentaire du blogueur de DR SUNNY aider de nombreuses personnes que je savais qu'il serait celui qui m'aiderait. lui a écrit et il m'a répondu et m'a dit comment il allait jeter l'amour vaudou pour moi et mon mari sera de retour dans 48 heures. et c’est ainsi que mon mari est revenu dans les 48 heures. Parlez à DR SUNNY aujourd'hui au: whatsapp +2349030731985 email: drsunnydsolution1@gmail.com-
Jeudi 3 Octobre 2019 à 11:57
Chère Kim,
Merci pour votre commentaire qui, s'il n'a rien à voir avec le sujet de cet article, n'en comporte pas moins un puissant message d'espoir adressé à toutes ces malheureuses épouses qui se sont vues séparées de leur mari pour le laissez-passer d'un an. J'ai bien sûr appelé le Docteur SUNNY (quel joli nom !) au numéro que vous indiquez et j'ai pu longuement m'entretenir avec lui. Il s'agit d'une personne tout à fait charmante et compétente dans son domaine de prédilection qui est, je le rappelle "le jet d'amour vaudou". Modeste comme il semble l'être, ce n'est qu'après une heure de discussion qu'il a fini par m'avouer d'une petite voix timide qu'il avait possède également la capacité de réparer à distance les connexions internet défaillantes et de générer, par la force de son esprit, des originaux plus vrais que nature de diplômes universitaires pouvant aller jusqu’au doctorat.
Bref, le docteur SUNNY est vraiment une personne digne de confiance, d'autant qu'il accepte les paiements via Western Union.
Téléphonez-lui de ma part, vous ne serez pas déçu.
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