• Il arrive parfois, au gré de pérégrinations somnambulesques sur la toile, que la providence place sur notre chemin une imposante pépite littéraire sur laquelle - aveugles que nous sommes - nous nous empressons de trébucher. Mais tandis que la plupart poursuivent leur chemin en sautant sur un pied tout en se massant l'orteil endolori, je préfère pour ma part m'asseoir afin de tranquillement soulager ma douleur des deux mains. Et pendant que mes doigts experts s'affairent à masser mes appendices onglés, j'observe la pépite susnommée tout à loisir.
     Aussi l'autre jour suis-je tombé sur CA. Passé la première douleur, essentiellement visuelle, qu'entraine une observation prolongée de la couverture, j'ai décidé, la curiosité prenant finalement le dessus sur l'appréhension, de poursuivre ma visite. Voici donc relaté dans ces pages le récit véridique de mon étrange périple au pays d'Eddy Magior et de son mystérieux créateur, J-P Bâchet (à ne pas confondre avec le chanteur mort à grandes dents, Pierre Bachelet).

    "Eddy Magior à l'école des puissances du néant"... Que voilà donc un titre prometteur ! Serait-on en présence d'un violent pamphlet battant en brèches les fondements des grandes écoles nationales , l'ENA, Sciences Po, les Mines ?
    Point... Mais quoi alors ?
    Bon, le néant, on voit vaguement ce que c'est : rien ou vraiment pas grand-chose. Alors apprendre au détour d'un titre que le néant possède ses propres puissances, c'est déjà un choc, mais savoir que ces mêmes puissances distillent leur enseignement au sein d'écoles dument organisées, avec probablement un système de contrôle continu sanctionné par un examen en fin d'année scolaire, ça nous laisse totalement pantois. Les sens à vif, je cherche à en savoir plus sur ce fameux roman. Je finis par tomber sur un résumé de l'histoire. Dès la première ligne, un trouble indéfinissable s'empare de moi :

    "Un jour le pire se produisit. Pourtant, ce n’était que le commencement des phénomènes étranges."
     Le pire ne serait donc pas le pire ? Il y aurait encore plus pire que le pire ? Des phénomènes étranges, par exemple ? Mais quelle en serait l'horrifique teneur ?

    "Les ampoules se mirent à claquer, des choses bizarres se multiplièrent ! "
    Dame, effectivement ! Une ampoule qui claque, c'est déjà terrible, car la plupart du temps il fait nuit et on réalise subitement qu'on a oublié d'en acheter au Shopi samedi dernier (jour des courses). Mais DES ampoules qui claquent, alors là.... Il n'y pas de mots pour décrire une telle abomination, le plus horrible étant qu'on va être obligé de finir la partie de petits chevaux à la lueur vacillante d'une pauvre bougie, puis se cogner dans les murs en allant se coucher.
    Quant aux choses bizarres qui se multiplient, déjà grandement éprouvé par la sortie de l'album de Carla Bruni et la grossesse de Rachida Dati, je préfère ne pas y penser. Le reste du résumé est à l'avenant, et rien que d'y songer j'ai les poils de l'avant-bras droit qui se dressent comme une forêt d'aiguilles à tricoter (j'ai un système pileux assez développé).
    Mais qu'aperçois-je juste en dessous ? Un extrait du roman. Prenant mon courage à deux mains, je me lance:

    "Soudain, trois corneilles leur bec ouvert, arrivèrent en rase-mottes tout près des nénuphars, des déflagrations retentirent, à la surface de l'eau, là où leurs pattes la touchaient. , et leurs corps se dilatèrent jusqu'à multiplier leur volume par sept. Une fois cette dimension atteinte, toutes éclatèrent et explosèrent. Leurs organes furent propulsés jusqu'à trois mètres de distance de la flore aquacole où elles avaient éprouvé cette métamorphose fatale.
    -Quelle chose ahurissante !, constata Eddy, sur ses gardes. "

    On comprend que Eddy soit sur ses gardes. Cette histoire de grenouilles vertes qui se dilatent jusqu'à atteindre 7 FOIS leur volume... En plus juste après elles éclatent et elles explosent. C'est-à-dire qu'elles ont le choix, soit l'éclatement, soit l'explosion, ce qui, vous en conviendrez, laisse peu de chance à l'épanouissement futur de cette sympathique colonie de batraciens. Mais c'est ainsi que les choses se passent dans l'univers impitoyable d'Eddy Magior (impitoyable également pour les règles de concordance des temps, comme vous aurez pu le remarquer avec ce passage d'ores et déjà fameux : "Étrangement, les grenouilles vertes ne sautaient plus mais, au contraire, s'attardèrent sur leurs larges feuilles).

    Dès lors la question se pose : mais qui est l'auteur ? Marc Lévy en pleine descente d'acide ? Christine Angot sous influence Doc Gynéco ? Rien de tout cela, puisqu'il s'agit de J-P Bâchet (je sais, je l'ai dit en introduction, mais j'ai oublié de me relire).

    Mais qui est J-P Bâchet ? Sur ce point le site reste évasif, voire contradictoire.
    D'un côté on trouve :

    "J.-P. Bâchet est apparu au XXe siècle quelque part dans la Voie lactée. Il a toujours désiré dans sa réapparition, signer son époque, avec l’étoile scintillante le guidant sur son chemin intérieur."

    De l'autre on peut lire :

    "J.-P.Bâchet est né à Montargis, dans le Loiret, en France. Il est issu d’une fratrie de sept enfants. Il a quitté l’école de bonne heure et il a commencé à travailler très tôt. Travail : employé dans différents petits boulots de 16 à 21 ans. Entre dans une compagnie aérienne internationale qui lui permet d'explorer la planète."

    Ainsi, Montargis dans le Loiret se situerait "quelque part dans la Voie lactée", à moins que ce ne soit le contraire.  Et l'on peut quitter tôt l'école et s'adonner à de petits boulots dans cet endroit de l'univers ?
    Le mystère rôde, la confusion est à son comble.
    Une chose est claire cependant, et nous pouvons l'affirmer sans risque de nous tromper : J-P Bâcret a bel et bien signé son époque avec l'étoile scintillante qui le guide sur son chemin intérieur.

    Mais si l'auteur s'affirme comme un des maîtres du mystère, il se trouve être également un cador de première bourre en ce qui concerne le marketing littéraire. Un coup d'oeil à la page "Vidéo" suffit pour s'en convaincre. Là, l'auteur en personne explique en 6 langues différentes et dans une mise en scène qui ferait passer Orson Welles pour un Max Pécas de bas étages les raisons pour lesquelles il est impératif d'acheter son roman.

    La version française, la plus sobre.

    Ne reculant devant aucun sacrifice, J-P installe pour chaque vidéo un décor adapté au pays concerné : pâtes à la carbonara et bandana à la Berlusconi pour l'Italie, chapeau à large bord pour le Mexique, chapeau melon pour l'Angleterre... Le public international est particulièrement choyé.
     L'effort est d'autant plus méritoire que notre auteur ne semble pas particulièrement familiarisé avec les subtilités des langues présentées. Mais ces petites imperfections de prononciations sont largement compensées par une force de conviction sans pareille qui entraîne l'internaute fasciné à cliquer fébrilement sur le bouton "Commander le livre".
    Ils sont d'ailleurs visiblement nombreux à être tombés sous le charme irrésistible d'Eddy Magior, et quelques-uns parmi les plus enthousiastes n'ont pu résister à la tentation de laisser un petit mot dans la partie "Avis des lecteurs". Plusieurs styles de fanatiques inconditionnels sont représentés :

    Le fonctionnel
    "Un livre dans l'air du temps car la jeunesse accepte l'irruption du merveilleux dans l'univers quotidien.." Le paroxystique "Le suspens maintient le lecteur dans un état inimaginable. Ce livre m'introduit dans des situations mystérieuses et inédites, pour un premier roman"

    Le flagorneur
     "Vos héros sont attachants et vivent des aventures extraordinaires dans un cadre qui ne peut qu’exciter l’imagination."

     Le mystique
    "Vous savez, ces entités appartenant à un autre plan de réalité, qui s'immiscent peu à peu dans le notre par le recours à des "signes" qui possèdent leur cohérence interne mais dont la signification nous échappe. Nous sommes en danger, nous devons nous convertir. Lisez et croyez, c'est le seul chemin. Utilisé conformément au mode d'emploi, Eddy Magior est sans danger."

    Le sibyllin
    "Publier un livre, obtenir la reconnaissance des Lettres, voilà le rêve d'un grand nombre d'écrivains en herbe. Il y a ceux qui restent au stade du rêve, et d'autres qui passent à l'action, pour le meilleur et pour le pire. Avec Eddy Magior à l'école des puissances du néant, nous sommes là face au .."

    L'ingrat
    "Eddy Magior à l'école des puissances du néant une sorte de pâle copie d'un célèbre sorcier britannique où, reclus dans son château familial ( les parents ont gagné au loto...), le petit Eddy se rend compte des pouvoirs magiques qu'il détient et va en user pour défaire le mal. Un vrai moment d'anthologie avec des phrases nanar cultissimes, et son style affreux. Un chef d'oeuvre dans le genre mauvais. Si vous avez trop d'argent et aimez les nanars, c'est l'occasion..."

    Doté d'une vision à très longue distance, et face au succès très prévisible que son roman va rencontrer à l'échelle mondiale, J-P a déjà prévu toute éventualité. Ainsi sur la partie "Don", juste au-dessus d'une fenêtre Paypal et Allopass (on a le choix) voici ce qu'on peut lire :

    "Faire un don pour Eddy Magior
    Je désire réaliser le tournage d'un film Cinéma & Télévision sur l'aventure d'Eddy Magior à l'école des puissances du néant."

    Ainsi, si Steven Spielberg passait dans le coin, il pourrait en un simple clic et moyennant une somme qu'il aura lui-même choisie, acquérir les droits d'adaptation d'Eddy Magior pour le cinéma. C'est simple, pratique et terriblement efficace.
    Alors, Eddy Magior digne successeur d'Harry Potter sur les étals des libraires et les écran de cinéma ? A n'en pas douter, car comme il est dit en page d'accueil du site officiel : J.-P. Bâchet dévoilera d’autres aventures d’Eddy Magior pour ses groupies du monde entier.

    La saga ne fait que commencer, pour le plus grand plaisir des petits et des g
    rands !


    J-P, quelque part dans la Voie lactée




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  • Vous voulez vous lancer dans l’écriture d’un roman, mais vous n’avez pas d’histoire. Inutile de mettre la charrue avant les bœufs (sinon les beaufs montent dedans, refusent obstinément d’en descendre en vous faisant des grimaces, et vous voilà bien avancé) : il vous faut en premier lieu un héros.

    Sans héros, pas d’histoire.

    Il est également possible que vous n’ayez pas de héros. Dans ce cas, je vous propose de suivre ma méthode.

    Prenez un dictionnaire (français de préférence) ouvrez-le à n’importe quelle page et pointez votre majestueux index au hasard sur le livre ouvert devant vous. Si vous tombez sur « exégèse », recommencez. Si vous tombez sur « furoncle » également. Persévérez en fait jusqu’à ce que votre attente soit tout à fait satisfaite.

    Ne reculant comme accoutumée devant aucun sacrifice, j’ai payé de ma personne en me livrant personnellement à cette petite expérience.

     

    Compte rendu

     

    Au bout d’une petite heure, alors qu’une ampoule douloureuse commençait à pointer à l’extrémité de mon majestueux index, je suis enfin tombé sur LE mot, celui qui, je le pressentais, allait m’ouvrir les horizons infinis de mon imagination jusque-là bridée par la mentalité étriquée de comptable assermentée que je tiens de mon grand-père.

    Ce mot était : canard.

    Mon héros serait donc un canard, ainsi en avait décidé, après maintes circonvolutions, mon majestueux index.

    Bien.

    Je m’asseyais aussitôt sur mon fauteuil en rotin (le même qu’Emmanuelle) et laissait vagabonder mon esprit au gré de sa fantaisie…

    Il s’agirait d’un canard tout à fait bien de sa personne, au visage aimable et harmonieux, au plumage brillant et doux au toucher, bref, ce que l’on a commune d’appeler un beau brun de canard. Seulement, ce gracieux volatile est malheureux (les canards heureux n’ont pas d’histoire). Son compagnon est parti un jour pour la lointaine Afrique (l’histoire se déroule en Eure-et-Loire) et n’est jamais revenu (on apprendra dans un second volume actuellement en préparation qu'il s'est, en atterissant, malencontreusement empalé sur la corne d'un rhinocéros).

    Après un temps de vague à l’âme, les choses de la vie étant ce qu’elles sont, notre oiseau décidede se mettre en quête d’un nouveau compagnon. Hélas son entourage se compose de blaireaux, de mulots, de coq de bruyère, de raton-laveur, d’une très grande diversité de petits animaux en tout genre, mais pas de canard.

    Mais notre héros, doté d’un tempérament volontaire, possède plus d’un tour dans son sac. Il achète dans un magasin de farces et attrapes un masque de Donald Duck et le colle sur le museau d’un lapin qui depuis quelque temps lui tournait autour. Le lapin transpire sous son masque, mais tout à son bonheur, il fait comme si de rien n’était. Quant à notre héros, il finit par oublier que son compagnon n’est pas vraiment un canard. Ils coulent ainsi des jours heureux, et ont ensemble beaucoup de… [la fin demande encore a être travaillée]

     

    Si vous trouvez cette histoire stupide, c’est que vous n’avez aucune imagination, ou qu’elle est bridée par une mentalité de petit épargnant avaricieux. Auquel cas je ne saurais trop vous conseiller d’essayer ma méthode.

     

    Le canard, digne héros des temps modernes

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    16 commentaires
  • Le résultat est impeccable, il n'y a rien à redire.

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    8 commentaires
  • C'est le commentaire qui ornait mon article sur les éditions Chabossot paru sur paperblog. Je passerai sur la petite touche de perfidie que recèlent ces quelques mots pour m'attacher aux problème qu'ils soulèvent : j'aurais sournoisement "copié " un concept déjà existant, et cette abomination rendrait ainsi toute mon entreprise caduque puisque soupçonnée de facto de malhonnêteté. J'ai évidemment une vision différente des choses. L'idée, ou le concept, pour faire un peu pompeux, ne me vient pas des éditions Brumerge, mais des Editions malpertuis ( http://stores.lulu.com/malpertuis ) que j'ai découvertes il y a quelques mois sur... lulu.com. J'ai tout de suite trouvé le principe intéressant, mais il a fallu que le temps passe (je suis un esprit lent) pour que je me décide à m'en inspirer en lançant les Editions chabossot. Je ne connaissais pas les Editons Brumerge jusqu'à aujourd'hui, je suis donc allé faire un tour sur leur site : le concept est effectivement le même, et leur FAQ dit tout de ce qu'il y a à savoir sur leur fonctionnement.

    Deux différences néanmoins.

    L'une, minime : ils ne passent pas par lulu.

    L'autre capitale : ils n'éditent pas les mêmes livres ! Ca paraît sans doute idiot à dire, mais je tenais à le signaler ! Ainsi, personne ne copie qui que ce soit, bien au contraire, puisqu'il s'agit d'entreprises complémentaires. Et on ne peut que souhaiter leur multiplication dans les mois et les années qui viennent, afin de présenter, face aux maisons d’éditions traditionnelles, une véritable alternative, riche de ses différences et de ses originalités éditoriales.

     Je rappelle quand même qu'il n'est pas question de publier tout et n'importe quoi, que ce soit pour Brumerge ou Chabossot. Nombre des gens qui sont refusés par les maisons d'éditions méritent de l'être, c'est même la grande majorité. Mais il existe un petit nombre de textes qui , pour des raisons avant tout commerciales ("c'est pas vendeur!") n'arriveront jamais à trouver d'éditeur.

    L'impression à la demande permet de s'affranchir totalement de ces fameuses contingences commerciales, pour laisser la parole au plaisir de lecture, uniquement.

    Alors si d'autres initiatives du même type ont vu le jour ailleurs sur la toile, qu'ils n'hésitent pas à se faire connaître : plus nous serons nombreux et plus l'aventure sera riche !

     

    En passant : le troisième titre des Editions Chabossot vient de sortir, il s’agit de « Chez Roger, un bar la nuit », recueil de nouvelles que nous devons à Louis Esparza.

    (voir toujours en haut à droite).


    http://les-editions-brumerge.wifeo.com/ 

    http://www.ed-malpertuis.com/

     

    La machine qui n'a pas servi à copier les Editions Brumerge


     

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