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Par Aloysius-Chabossot le 11 Février 2008 à 17:03
Aujourd’hui, un lecteur insatisfait. Le courrier commence directement.
Immense écrivain et poète, doté d’une culture prodigieuse et d’une qualité de réflexion incomparable, je suis à la tête d’une œuvre colossale qui ne compte pas moins de 85 volumes, tous édités dans les plus prestigieuses maisons d’édition (mais dont vous n’avez bien sûr jamais entendu parler, insignifiant inculte que vous êtes) à un nombre d’exemplaires frisant la démence. Mes thèmes de prédilection sont très variés : promenade dans les bois, dîner entre amis, sortie en boîte, cinéma, et j’aime à les essaimer dans la profusion des genres que m’offre l’écriture : essais, romans, poèmes, épopées, liste de courses, cartes postales, rapports financiers… Tout est bon pour moi tant mon inspiration, que dis-je, ma voracité créative, ne connaît aucune limite. Par ailleurs, afin que le tableau soit achevé, je dois à la vérité de dire que le jour de ma naissance les Dieux se sont donné rendez-vous autour de mon berceau afin de parer ma personne de toutes les vertus que la terre puisse décemment porter. Ainsi chacune de mes apparitions en public est l’occasion de manifestations grotesques d’adoration mystique tout à fait déplacées, j’en conviens. Néanmoins, il m’arrive parfois, lorsque je me sens d’humeur badine, d’accorder quelques instants d’attention à une créature repérée pour sa beauté dans le tas informe de larves idolâtres qui rampent à mes pieds. A ce titre on ne compte plus mes conquêtes féminines, toutes des créatures de classe internationale qui me tombent dans les bras avec toute l’insolence de leur jeunesse, dans l’unique et fol espoir que je leur lise de ma voix chaude et délicatement timbrée quelque extrait de mon œuvre pris au hasard des pages, tandis qu’elles se prélassent, un verre de pink champagne à la main sur une peau d’ours fraîchement dépecée (mais lavée). Après cela, dire que je côtoie les grands de ce monde apparaît comme purement accessoire, mais pourquoi après tout le cacher ? Oui, les problèmes gastriques de Jacques Attali n’ont plus de secret pour moi, oui j’ai offert sa première guitare à la fille adoptive de Johnny (celui-ci s’est d’ailleurs exclamé à l’ouverture du paquet cadeau : « Mais elle est bien trop petite pour jouer au tennis ! »), oui, c’est moi qui ai recueilli les dernières paroles de François Mitterrand sur son lit de mort (« tu peux ouvrir la fenêtre, j’ai… » Il n’a pas eu hélas le temps de finir, mais connaissant mon François, je pense qu’il avait chaud). Oui tout cela est vrai, et le reste aussi.Mais que sont l’amour, la gloire et la beauté lorsque qu’une petite chose insignifiante se refuse à vous, injustement ? Et quelle est cette chose infime qui ose encore me résister ?Allons ne fais pas l’innocent, Chabossot, infâme crapule pétrie de la plus abjecte des jalousies, pourfendeur du véritable génie par la seule volonté de sa rancœur tenace.
Des faits ! Des faits ! Nous y voilà ! Depuis que tu as ouvert ta rubrique « Avis sur texte », vieillard priapique et analphabète, je n’ai eu de cesse de t’envoyer quelques-unes de mes sublimes créations dont je pensais que tu les livrerais aussitôt à l’admiration bêlante de la foule extatique qui te sert de lectorat. Mais en lieu et place d’une publication qui aurait serti d’un joyau de la plus pure espèce le misérable blog où se répand la répugnante diarrhée verbale qui te tient lieu de prose, un petit mail laconique et mesquin où l’on pouvait lire « Vos poèmes sont ennuyeux ». Ennuyeux, mes poèmes ? Ah crapule ! Je te mets au défi :
Ose donc publier ces quelques vers que je viens de composer en l’honneur de ma bien-aimée, ose affronter, homme pleutre, les trombes de commentaires superlatifs qui envahiront aussitôt ta minable gargote numérique !
Monsieur, je ne vous salue pas
Vanceslas de Tiffubery de la Gouillardière
PS : Voici le poème :
Mon canard
Mon canard est le plus beau des canards
Et quand je le vois gigoter dans sa marre
Majestueux et fier comme un coq de bruyère
J’ai le cœur qui bondit dans la verte clairière
Et je lui cours après, déposer un baiser
Sur son beau bec fin, délicatement ourlé
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Cher Vanceslas,Sachez que de confiance, j’admire le grand auteur que vous êtes, et le rouge de la honte me monte au front à l’idée de n’avoir jamais entendu parler, pauvre inculte que je fais, d’une telle sommité des lettres.Toutefois, si le contenu de vos 85 volumes ressemblent de près ou de loin au poème que vous avez eu la bonté de transmettre, je n’aurai qu’un conseil à vous donner : prenez le maquis. Car en ce moment même, il est plus que probable qu’un bataillon armé de Green Peace soit à vos trousses, avec comme motif de condamnation: « Participation active à la déforestation de l’Amazonie pour des motifs irresponsables et futiles ".
En effet, que dire de vos vers ? Comparer un canard à un coq de bruyère, oui, effectivement, il fallait l’oser. Mais vous auriez cependant pu l’oser en toute intimité, sans déranger personne, non ?
Votre bien dévoué,
AC
PS : Ah !Oui, un deuxième conseil tout de même : vraiment, prenez le maquis. Car si votre « bien-aimée » apprend incidemment que vous la comparez à un « canard » qui « gigote dans sa marre », croyez bien qu’à côté des sévices qu’elle vous fera endurer, le peloton d’exécution de Green Peace vous semblera comme une savoureuse gâterie.
Madame de Tiffubery de la Gouillardière au bain
21 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 7 Février 2008 à 15:01
Cher Monsieur Chabossot,
Je m’appelle Madeleine, j’ai 35 ans et je travaille comme hôtesse d’accueil à la coopérative vinicole de Saint-Fignac en Gironde. Il y a deux jours de cela, j’étais à la cantine avec Monsieur Gachot, adjoint au directeur commercial de la Coop, lorsque l’idée d’écrire un roman m’a subitement traversée l’esprit. J’ai aussitôt fait part de ce projet à mon collège et néanmoins supérieur, sans doute dans l’espoir de lui soutirer un semblant d’acquiescement. Au lieu de l’encouragement attendu, ce gros porc de Denis Gachot ma regardé avec ses petits yeux chiasseux et a déclaré tout en propulsant alentour le contenu de carottes râpées qui jusqu’à présent avait trouvé refuge dans sa grosse bouche molle aux chicots immondes : « Toi ? Un roman ? Laisse-moi rire ! ». Pour ajouter un peu à mon humiliation, Jacques Mertin qui passait à ce moment-là avec son plateau-repas entre les mains s’est arrêté pour rire aux éclats à la blague de son chef, alors que cette serpillière encravaté n’avait bien évidemment rien entendu.
Mais je ne suis pas le genre de femme qui se décourage pour si peu. Le soir, à la maison, j’ai voulu parler à mon mari de ce formidable projet qui ne cessait d’habiter mon esprit depuis la cantine. Il m’a donc écouté avec toute l’attention requise tout en regardant la télé, puis lorsque j’ai eu fini, il est parti dans la cuisine se chercher une nouvelle canette de bière qu’il a décapsulé en soupirant.
Voilà donc mon problème : je suis très motivée, je sens en moi l’étoffe d’une grande romancière, et il est clair que quand je vais m’y mettre, ça va faire très mal, une sorte de Super Guy des cars avec des morceaux de Guillaume Musso dedans, pas moins. Mais je ne me sens pas du tout soutenue par mon entourage, et du coup j’ai un mal fou à m’y mettre. J’ai pourtant un très bon titre : « Coopérative vinicole de Saint-Trougnac, bonjour ! » (Vous noterez au passage le discret hommage au « Bonjour tristesse » de Françoise Sagan ») et une histoire solidement charpentée (Virginie, une très belle femme de 35 ans, est responsable des relations publiques dans un gros trust vinicole. Un soir tard, alors qu’ils travaillent sur un gros dossier, Virginie tombe subitement amoureuse de Denis , le jeune bizness manager fraîchement promu de Harvard. Ils font l’amour à même le bureau au milieu des papiers éparpillés. S’en suit une torride liaison amoureuse qui s’étend sur des mois et brasse tour à tour gros dossiers épineux, position du kama sutra sur la moquette du couloir, lampe de bureau renversées et nuits d’hôtel au Formule 1 maquillées en frais de mission).
Monsieur Chabossot, vous seul pouvez m’aider à prendre la bonne décision : dois-je tout envoyer promener, travail, maison, mari, afin de me consacrer corps et âme à ma passion dévorante de l’écriture ? Accessoirement, dois-je mettre un terme à cette histoire minable avec ce gros porc de Denis Gachot ?
Je vous en supplie, répondez-moi !
Madeleine Guillomard, une femme qui ne sait pas, qui ne sait plus
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Chère Madeleine,Tout d’abord permettez-moi de vous féliciter : une passion aussi dévastatrice que la vôtre, et qui de surcroît dure – si mes calculs sont bons – depuis plus de 48 heures, ça ne se rencontre pas tous les jours. Je ne puis que vous encourager à persévérer dans cette voie, pour au moins arriver jusqu’au week-end.
Maintenant, est-il vraiment nécessaire de faire table rase de l’existant pour vous adonner pleinement à l’écriture de votre grand œuvre ?
Il apparaît, à la lecture de votre « synopsis », que votre vie quotidienne, même si vous avez su la parer de tous les atours de la fiction afin que nulle influence n’y soit décelable, fournisse la matière première de votre inspiration romanesque. En supprimer les éléments les plus importants, ne serait-ce pas tarir définitivement la source ? Dès lors, que raconter ? Une énième histoire de magicien boutonneux évoluant au sein d’un monde tristement imaginaire ? Allons, Madeleine, il me semble que vous êtes d’une autre trempe, tout de même ! Aussi, je vous conseillerai de continuer comme avant, comme si de rien n’était, sauf peut-être sur un point : oublier ce Denis Gachot qui mange si salement et tenter votre chance avec Jacques Mertin. Il n’a pas l’air bien malin non plus, mais au moins n’aurez-vous plus à supporter les jets intempestifs de nourriture lorsque vous déjeunerez en face de lui.
A présent, j’aimerai beaucoup que vous vous mettiez au travail, car – je l’avoue sans honte – les quelques éléments de votre histoire que vous avez bien voulu me livrer m’ont particulièrement ému, touché, transporté (surtout le passage sur la moquette) et je suis impatient de tenir entre mes mains le résultat de vos efforts.
Bien à vous,
AC
L'entreprise, ultime refuge du romanesque ?
6 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 18 Janvier 2008 à 22:49
Il arrive parfois que des lecteurs me posent par mail des quesions qui ne manquent pas d'interpeller profondément ma pratique narrative. J'ai décidé qu'à partir d'aujourd'hui, généreux comme je suis,j'allais vous en faire profiter.
Cher Monsieur Chabossot,
Je vous expose mon problème. Je voudrais écrire un roman animalier, mais voilà, je n’y connais pas trop en animaux, mis à part les deux lapins et la poule que ma grand-mère élève (pas spirituellement parlant, mais plutôt pour les manger). Alors je me suis dit que mon roman pouvait mettre en scène des lapins, ou des poules, ou carrément les deux. Mais là c’est un autre problème qui surgit, car je ne sais pas si vous avez déjà observé ce genre de bêtes, mais je peux vous dire que ça ne fait pas grand-chose de ses journées. Du coup, je sais pas trop quoi raconter dans mon roman. J’ai pourtant essayé dur, vous pouvez me croire. Mais j’ai jamais réussi à aller plus loin que « Coco mange une carotte dans son clapier tandis que Madame Poule l’observe ». Après, je fais un blocage. Et je vous assure que pour quelqu’un comme moi, qui voudrais devenir romancier professionnel, c’est très démoralisant.
Je vous en prie, Monsieur Chabossot aidez-moi, vous êtes mon seul espoir.Avec toute ma considération admirative,
Sébastien Frichot
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Cher Sébastien,
Force est de constater que vous disposez d’un point de départ tout à fait épatant : une poule observant un lapin qui mange une carotte, ce n’est pas tous les jours qu’on a la chance de trouver un sujet aussi riche. Deux fortes personnalités évoluant au milieu d’un décor luxuriant et complexe, que demander de plus pour aussitôt mettre en branle l’imagination sans borne de l’écrivain professionnel qui sommeille en vous ? La scène à peine entrevue, et ce sont des centaines de situations plus excitantes les unes que les autres qui devraient exploser tel un feu d’artifice fictionnel dans votre cerveau devenu trop petit pour l’occasion, petit chanceux ! Or que lis-je ? Vous laissez précisément entendre le contraire ?
Allons, séchez vos larmes, et étudions la situation avec méthode et rigueur.
Tout d’abord, les protagonistes. Coco est de toute évidence un « personnage » « larger than life », le genre de lapin bourré de charisme qui se distingue naturellement de la nuée de ses congénères par une attitude, une désinvolture face à la vie qui laisse pantois d’admiration.
Le regard perçant, l’oreille toujours en alerte, il mange sa carotte à coup d’incisive nonchalant d’où émane une sensualité terriblement troublante. Tellement troublante à vrai dire que Madame Poule, que tout a priori semble éloigner de Coco (plumage, nombre de pattes, origines sociales, etc.), finit, à force de contemplation, par tomber sous le charme capiteux de l’envoûtant lagomorphe.
Et c’est là mon cher Sébastien où votre histoire devient fascinante. En effet, comment imaginez que deux être aussi disparates, aussi opposés dans leur mode de vie (Madame Poule ne mange pas de carotte, et ce n’est qu’un exemple) puissent un jour s’aimer d’amour tendre ?
Voilà la question que se pose aussitôt le lecteur, et qui va le tenir enchaîné à la lecture de votre roman jusqu’à son ultime résolution, en oubliant de manger, de se laver et de se vêtir correctement.
Voilà aussi la question à laquelle vous devrez répondre, cher Sébastien, vous, seul à votre table de travail, en proie aux démons de la création. Pour ma part, je dois vous quitter car on m’attend à l’inauguration d’une médiathèque qui devrait porter mon nom (ou celui de Simone de Beauvoir, je ne sais plus).Votre dévoué
Aloysius Chabossot
PS : Avant de vous quitter, je vous glisse une petite piste qui pourrait s’avérer riche en développements narratifs : et si, mettons à la page 150, on apprenait que Madame Poule est en fait un CANARD ? Je vous laisse méditer là-dessus.
Le lapin, un personnage rromanesque de premier plan
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