Le livre parfait
Je suis écrivain. Vous me connaissez sûrement, j’ai eu mes heures de gloire. Oui, c’est cela, celui qui a écrit ce fameux roman policier, best seller de l’année
1984. Oui, c’est bien moi. Depuis vous dites ? Et bien, j’ai écrit quelques nouvelles, des histoires d’amour, des contes pour enfants. Mais cela n’a pas eu autant de succès que ma toute première
œuvre. Vous voulez savoir comment j’ai écrit ce livre ? Mon chef d’œuvre !!! C’est bien un grand mot que vous dites là, mais cela me fait plaisir.
A cette époque, j’étais comptable pour un grand cabinet et pour oublier les chiffres, les bilans et autres tableaux financiers, le soir je tâtais un peu de la plume.
J’ai toujours aimé les romans policiers aussi mon objectif était bien entendu d’en écrire un. Il me fallait du solide avec des personnages qui sonnent vrai. Il ne m’a pas été difficile de les
trouver, j’ai uniquement observé mon entourage. Avant même de mettre sur papier les plans de mon intrigue, je savais qui représenterait au mieux le personnage de l’inspecteur. Mon ami d’enfance,
mon meilleur ami, Pierre. Ses principales qualités étaient la patience et un esprit d’analyse très développé. Il était le personnage idéal..
Les suspects, ma foi, j’avoue y avoir attaché moins d’importance. De temps en temps, le soir après le travail j’aimais bien aller boire un verre. J’avais mes
habitudes dans un petit café à quelques mètres du bureau. J’y avais fait la connaissance de Patrick, le propriétaire de la quincaillerie d’en face et de Benoît, un petit employé de banque. On
buvait un coup en discutant de choses et d’autres. Patrick était en pleine séparation et vivait mal cette situation (il était très volage et son épouse l’a gentiment remercié). Quant à Benoît,
son physique ingrat limitait les perspectives d’approche de la gente féminine. Je l’ai toujours soupçonné d’être un peu voyeur.
Il vous suffit de relire mon livre, tels que je les ai décrits, tels ils étaient.
J’avais mon inspecteur, mes suspects. Ma victime, je ne sais pour quelle raison, devait être une femme. Là était la difficulté car je ne fréquentais aucune femme et
celles que je côtoyais au bureau ne m’inspiraient guère. Elle devait être parfaite. Je ne me facilitais pas la tâche et pendant plusieurs mois, j’ai fait des insomnies terribles accompagnées de
crises d’angoisse. Cela devenait oppressant, obsessionnel. Il m’était impossible de l’imaginer. Je devais avoir du concret.
Un soir, juste avant de quitter le bureau, mon patron m’a laissé un numéro de téléphone en insistant pour que j’appelle le lendemain à la première heure pour prendre
rendez-vous avec ce nouveau client.
Je me souviens encore de cette rencontre avec Lise. Jamais je n’avais vu de femme aussi belle. De suite, j’ai su que c’était elle que je cherchais. Lise serait la
victime. Elle me fascinait et si dans mon livre, elle devait mourait alors il fallait que le crime soit digne d’elle. Aussi, j’ai opté pour un meurtre à l’arme blanche. Rien de barbare, au
contraire, un acte esthétique. J’exultais, mon histoire prenait vie. J’ai voulu que la scène où Lise décède soit le pilier de mon œuvre. Vous avez pu remarquer que Pierre en était obsédé.
D’ailleurs le titre de mon roman est « Anatomie d’un crime » et ce n’est pas sans raison.
Oui, vous avez bien saisi. Le succès de mon livre tient en effet à la façon dont j’ai traité l’intrigue, l’idée n’étant pas d’exploiter une enquête policière
classique. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de résolution. Tout est axé sur l’acte criminel et la fascination grandissante de Pierre. J’ai particulièrement soigné le sujet. Je suis un
perfectionniste et croyez moi n’ai rien laissé au hasard.
Vous dites ? Non je n’ai fait aucune recherche documentaire sur les meurtres, c’est beaucoup plus simple que cela. Voyons, ne me dites pas que vous ne comprenez pas
! Allons, cherchez un peu… mais si, vous devinez juste. Je vous l’ai dit, il me fallait du concret. Je n’ai aucune imagination.