• Avis sur texte : Stéphane Lavaud - Nouvelle

    Sirène

    C’était un jour, c’était une nuit, je ne sais plus très bien. Je ne me rappelle plus ce que je faisais là ni d’où je venais, mais la quantité d’alcool qui rampait dans mes veines en était sûrement la cause. Tout ce dont je me souviens, c’est d’une plage, et qu’il pleuvait. Des sensations me reviennent également: La tête lourde, mes pas pesants et incertains, les plaintes de mon estomac terrassé par l’alcool. Je m’acharnai à marcher droit devant, à ne pas m’arrêter, à ne pas mourir et dieu m’est témoin que j’ai lutté contre cette saloperie de sable qui faisait tout tanguer. J’ai dû vomir, aussi.  Beaucoup. Cette odeur aigre et salée qui brûlait mes narines reste encrée dans ma mémoire. A un moment, j’ai dû m’écrouler, car je me souviens d’un petit crabe qui me regardait droit dans les yeux. Quand il a vu ce qu’il y avait au fond de mon âme, il a fui. A sa place, j’aurai fait de même. A cet instant, la simple vision de mon âme nue aurait pu tuer.
    Malgré tout le sable que j’avais dans les oreilles, je n’eu aucun mal à l’entendre. Comment aurais-je pu faire autrement, cela s’est imposé à moi avec une telle force.
    C’était une mélopée fantastique, envoûtante, poignante. Un chant d’une pureté à fendre le diamant, bien plus enivrant que toutes mes nuits blanches. Je n’ai jamais eu l’oreille musicale et mes connaissances en la matière peuvent se résumer en une dizaine de noms, mais je suis sûr d’une chose : Rien de ce qui était humain ne pouvait chanter avec autant d’émotion !
    Cela, jamais je ne l’oublierai.
    J’étais peut-être ivre mort, mais rien n’aurait pu m’empêcher de relever la tête pour voir d’où provenait ce chant si…fondamental. C’est exactement ça : Fondamental.
    Alors je la vis.
    Emergeant des profondeurs de l’océan, Ondine et Sirène, femme et enfant, je la vis.
    Son sourire recelait tous les mystères de l’univers et lorsqu’elle chantait, des myriades d’étoiles s’en échappaient. J’ai dû plisser les yeux pour ne pas être aveuglé. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. Derrière son masque d’écume, se tenait le plus doux des visages et  ses yeux étaient d’une profondeur insensés.
    Lorsqu’elle a replongé dans l’océan festonné d’écume, j’eus tout juste le temps d’apercevoir sa queue, majestueuse, irréelle.
    Ivre mort ou pas, je n’allai pas laisser cette miraculeuse apparition disparaître  dans des ténèbres liquides. J’ai plongé. L’eau glacée entravait lourdement mon corps mais j’aurais fait n’importe quoi pour la retrouver. J’en ai même oublié que je ne savais pas nager.
    Ensuite, c’est le trou noir. Je crois que j’ai dû mourir.


    Lorsque je me suis réveillé, elle était là, à mes cotés. Le sable collait à ma peau en dessinant les tracés géographiques de pays fantastiques. Elle m’a essuyé le visage sans cesser de sourire. Echoué sur cette plage, incapable de rassembler mes esprits, je n’ai rien trouve de mieux à faire que de lui rendre son sourire.
    Puis je l’ai embrassé.
    Lorsqu’elle me demanda de la ramener chez moi, je dû prendre un air particulièrement idiot car elle éclata de rire. Devant ma surprise, elle m’expliqua que je l’avais embrassé et qu’ainsi, selon sa coutume, elle serait ma compagne et qu’il me faudrait prendre soin d’elle.
    C’était tellement dingue, tellement miraculeux que je n’ai pas hésité. Je l’ai ramené chez moi.
    Et on s’est aimé. Comme on a pu.
    Au début, on a pu, énormément. Mon baiser lui avait permit de substituer sa queue  à deux superbes jambes. Je lui ai appris à s’en servir. Dans un premier temps, elle s’amusa follement à les plier, les déplier, mouvoir ses orteils, ses chevilles. Puis, lorsqu’elle découvrit que ses jambes pouvaient la faire marcher, courir, sauter, elle n’arrêta plus. Son émerveillement atteignit son apogée lorsque je lui enseignai à faire l’amour avec. Elle apprit vite. L’âme vierge de toutes  pollutions morales, elle devint Aphrodite insatiable, douce Salomé, érotomane débridé et prude ingénue. Elle aimait ça et j’aimais qu’elle aime ça. Nos ébats étaient tempêtes et orages sur une mer de mercure, brise frémissante dans un ciel transparent. Et puis, l’odeur de l’océan, à chaque instant, humide et salée sur sa peau. Que le diable m’emporte dévorer mon coeur dans le septième cercle des Enfers si je puis un jour oublier cette odeur !
    On ne sortait pas beaucoup, ne parlait guère plus et baisait la plupart du temps. Les plus beaux jours de ma vie. Je n'ai pas touché au plus petit verre pendant cette période. Qu'en avais-je besoin alors que je baignai dans un élixir capable d'étancher toutes les soifs? Tant de morts d'étoiles plus tard, j'en rêve encore.
    C'est par un joli matin de printemps que ça a commencé à partir de travers. L'air sentait si bon et irradiait de tant de promesses que je me suis laissé avoir par le premier rayon de soleil venu. Les plus virulents orages puisent leur source dans les lacs les plus tranquille. Pourquoi ne me suis-je pas tronçonné les deux jambes ce matin-là?  
    J'avais décidé de l'emmener à la piscine. Après lui avoir difficilement expliqué l'utilité d'un maillot de bain, nous avons pris la route. A peine arrivé, des problèmes apparurent. Tout d'abord, il y eu le vestiaire. Lorsqu'elle y pénétra, je vis son visage se figer en une grimace à faire pâlir les ténèbres. Elle laissa échapper un petit gémissement de douleur qui m’ouvrit la poitrine en deux. Les ailettes de son si petit nez frissonnaient d’horreur. Cette odeur chlorée, froide et agressive devait lui fendre le crâne. Elle qui ne connaissait qu’odeurs de sel et de grand large, d’embruns et d’écume, comment ne pouvait-elle pas succomber à ce viol olfactif ?  Chlorure de sodium contre douce amertume océanique, le combat était inégal.
    Après, nous avons eu l’idée stupide de nous rapprocher du grand bassin. Que l’on me fouette pour ça ! Là, c’est son regard qui m’a alerté. Je ne l’avais jamais vu aussi terrifié. Comment autant de gens pouvaient tenir ensemble dans si peu d’eau ? Cette question, elle n’eut même pas besoin de me la poser. Je la devinais sur son visage crispé, dans ses yeux effarés. Ce jour là, à mon grand regret, j’appris que les sirènes tout comme les terriens étaient sensibles à la claustrophobie. Je me suis mis à imaginer un dauphin dans un puit et j’ai prié pour ne jamais connaître ça.
    Je lui pris la main avant qu’elle ne se mette à hurler. 400 Kms plus tard, nous étions au bord de la mer.
    Après, plus rien ne fut vraiment comme avant. Cela a commencé par de petites choses, presque anodines. Elle prenait des bains plus souvent, plus longtemps,  passait des jours entiers à regarder des vidéos sur l’océan, ajoutait des poignées de sel sur tout ce qu’elle mangeait, etc. Bien sûr, je l’emmenai le plus souvent possible à la mer et j’envisageais même de m’ouvrir les veines pour nous dégoter une petite bicoque face à l’océan.
     A présent, je le sais, tout cela aurait été vain. Rien n’aurait pu empêcher la suite.
    La suite, c’est la dégringolade de jours en jours, l’esprit de plus en plus loin, le verbe de plus en plus rare, le sourire de plus en plus absent. Sa peau se ternissait, les rayons de lune ne s’accrochaient plus à ses cheveux et ses yeux devenaient de pâles lacs. Elle ne riait plus, ne chantait plus, même ses larmes ne coulaient plus. Au début, nous faisions encore l’amour mais même ça s’est arrêté. L’amour se fait à deux et j’étais tout seul.
    Et puis un jour, elle me le demanda.
    Selon sa coutume, il me fallait simplement prononcer à haute voix mon intention. La difficulté résidait dans le fait que ma voix devait sonner juste, totalement en accord avec mon coeur. Mes mots devaient être d’une sincérité sans faille. Alors, seulement, les Esprits des Océans pourraient entendre ma requête et y répondre favorablement. Je ne suis pas moins lâche qu’un autre et j’aurais tout donné pour que quelqu’un prenne ma place, mais elle m’affirma qu’étant la personne qui l’avait transformé, c’était à moi de le faire.
    Alors je l’ai fait. Ce fut le plus gros effort de mon existence. J’avais déjà trimballé des frigos et des pianos pour gagner ma vie mais en comparaison, ce n’était rien. Et puis jamais un piano ne vous laissera alité cinq semaines, volet clos avec du mauvais bourbon comme seuls repas. Oui, la mort dans l’âme, je l’ai fait. Je lui ai rendu sa liberté. Cela a pris des  jours avant que je n’arrive à prononcer ces quelques mots avec sincérité. Des nuits entières à me battre contre une simple phrase. Un soir, recru de fatigue, j’ai réussi. Je lui ai dit : « je te rends ta liberté » et ma voix n’a pas tremblé. L’instant d’après, ses jambes se sont métamorphosées en queue et un rayon de lune s’est accroché à ses cheveux. Un déchirement d’âme plus tard, je la ramenais là où je l’avais rencontrée et pleurais en la regardant s’enfoncer dans l’immensité humide et ténébreuse.
    Une étoile filante est passée à ce moment-là.
    Rien à foutre.
    Depuis, mon âme ne vaut plus rien et mon cœur est un nid de douleur, mais je survis. Je ne me suis pas foutu en l’air, ne bois qu’un jour sur deux et ai réduit sur sel. Je dors moins, mange moins, rêve plus, c’est tout. Je me suis acheté une cabane de pêcheur, le plus près possible de la mer. C’est tout petit et ça sent le poisson mais cela m’est égal. Tout ce que je veux c’est qu’elle revienne, qu’elle m’embrasse et que mes jambes se transforment en queue.
    Je t’attends.

     

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  • Commentaires

    1
    Jeudi 20 Décembre 2007 à 16:19
    Aloysius
    Mélange réussi entre grandiloquence et expression triviale, ce qui donne un ton assez personnel je trouve, pour une histoire qui dans le fond (et sans jeu de mot) est plutôt touchante. J'ai bien aimé, un un mot. (j'ai corrigé quelques fautes d'orthographe, mais il reste quelques lourdeurs d'expressions ("laisser cette miraculeuse apparition disparaître"...) auxquelles je n'ai bien sûr pas touché. A vous de voir...))
    2
    Jeudi 20 Décembre 2007 à 18:08
    stef
    merci pour votre commentaire. Cependant, il manque le début de ma nouvelle (une dizaine de lignes en gros) Alors? Réduction de budgets? Grosse grosse fatigue? Erreur lors de mon envoi? Complot du F.B.I? Et Dieu, existe-il? Ha, que de questions en suspend...
    3
    Jeudi 27 Décembre 2007 à 19:07
    stef
    Tu as tout a fait raison, mais il faut avouer que placer "HCIO, Acide hypocloreux ou gaz CI2" dans une nouvelle écrite par un non chimiste n'est pas chose aisée. S.L
    4
    Mercredi 23 Janvier 2008 à 18:48
    stef
    Merci Pacotille pour ce commentaire qui me rend tout chose.
    5
    pacotille
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
    J'aime beaucoup. L'histoire est poétique et simple. Un coeur romanesque et délicat dans un corps d'alcoolique désabusé. Oui, un mélange étonnant qui fait qu'on ne tombe pas dans la mièvrerie, ni dans un univers glauque.
    6
    Pierre
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
    Pierre
    Il y a un passage soit que j'ai mal compris, soit qui mérite une correction. Tu compares le chlorure de sodium à l'amertume océane. J'ai compris que tu comparias la piscine (chlorure de sodium) à la mer. Si c'est le cas, le pb est que la mer est remplie de chlorure de sodium, donc de chlore, puisque NaCl c'est le sel... Si tu as voulu évoqué le "chlore" des piscines, c'est HClO, ou acide hypochloreux. Et les odeurs de chlores sont dues au gaz Cl2 et non à l'ion chlorure Cl-... Voilà, si c'est moi qui ai mal saisi ta phrase je 'mexcuse de ce message, dans le cas contraire j'espère t'avoir aidé... ps wikipedia est le meilleur ami des écrivains, je sais de quoi je parle ;)
    7
    MOINE Yves
    Jeudi 17 Novembre 2011 à 16:10
    MOINE Yves
    ouais....çà rappele "splash" un film avec la belle Daryl Hannah...le style est un peu scolaire, entrecoupé de fugaces passages mieux sentis,mais celà se lit sans déplaisir
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