• Note de l'auteur : il ne s'agit pas vraiment d'une nouvelle, plutôt d'une saynète qui pourrait servir d'incipit à un roman.

    L'Élu fonce droit devant lui dans la forêt moussue et brumeuse. Il zigzague dangereusement entre des fossés garnis de pals acérés, puis fait un salto aérien et incohérent sous le nez d'un zombie, comme si c'était sa façon personnelle de lui dire bonjour. Au terme de ce mouvement il vient percuter un monstre errant sans même paraître s'en rendre compte, ni daigner esquisser un moulinet de son glaive lumineux. Plusieurs dizaines de secondes plus tard, il semble enfin comprendre l'utilité de cette prothèse pointue, qu'il abat rageusement contre un sapin – heureusement protégé par un mystérieux enchantement : le choc n'a émis aucun bruit et l'écorce de l'innocent conifère n'est pas du tout endommagée. Reprenant sa course décidée, l'Élu passe à côté d'une gemme étincelante et grosse comme sa tête – oubliée là par on ne sait qui – car il est, semble-t-il, trop pressé de se jeter dans un bourbier putride où il se noie instantanément. Aussitôt ressuscité, d'abord un peu clignotant, il s'élance à nouveau, au point d'atteindre l'endroit d'où il est parti, limite métaphysique s'il en est. Ne pouvant reculer plus loin, il continue pourtant à courir et parfois à sauter, sur place, sans pouvoir grignoter un millimètre de terrain. L'Élu s'est affranchi de la mission qu'a programmée pour lui son créateur, il gambade allègrement, grisé par la découverte de sa joyeuse nullité – mais que va-t-il faire, après ?

    La performance de ce héros qui se fout de tout a d'abord surpris le spectateur, qui s'est approché de l'écran, avant que son regard ne se reporte, logiquement, sur le joueur accroché au pad : c'est un enfant, beaucoup trop jeune pour comprendre le principe de cette quête – où sont ses parents d'ailleurs ? Le temps de chercher ceux-ci des yeux, l'enfant n'est plus là : il a déjà laissé tomber la console et disparu au bout de la travée du magasin.

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  • "Tri sélectif" est une courte nouvelle, partie intégrante d'un projet dont le titre sera "La veuve noire".

    Tri sélectif

    J’ai toujours été attentive à mon environnement. C’est une discipline de vie que je me suis imposée il y a de nombreuses années. Il en va de mon espace vital.
    J’ai rapidement maîtrisé les gestes pour mon grand bien. Tout est dans la méthode et croyez moi, on ne peut faire plus simple.
    Avant toute chose, j’ai distingué ce qui était bon de ce qui ne l’était pas. Pour ce faire, j’ai fait le classement suivant :
    - Ce qui était bon pour moi
    - Ce qui était utile pour moi
    - Ce qui était nuisible
    Il m’a suffit alors de répertorier ce qui m’entourait et de noter en fonction de ces critères. Cela ne m’a pas été difficile. J’ai des idées bien arrêtées sur la question. Parfois le doute s’installait pour le choix de telle ou telle option, mais en général je n’ai éprouvé aucune peine à classifier. Une fois ce travail terminé, j’ai dans un premier temps, revu de plus près l’aspect utile. L’utile ne devant pas être nuisible. J’ai tout simplement écarté de cette catégorie tout ce qui pouvait être nocif. Vous ne pouvez pas vous imaginer tout ce que l’on peut garder. Bien entendu, les notions de bon et d’utile étant subjectives, je comprendrai que vos choix puissent différer des miens.
    Vous voyez, cela n’est pas bien compliqué. Il suffit de garder par devers soi ce qui est bon et utile. Le reste, on le jette, mais proprement.
    J’en viens donc à l’élimination du nuisible, car bien sûr, tout ce qui représente un danger pour notre environnement doit être écarté et définitivement. Aussi, contrairement à certains, je ne donne pas de seconde chance. Je ne suis pas adepte du recyclage. Mais, fidèle à mes principes, je me débarrasse des encombrants sans laisser de traces. Je ne le cache pas, mes débuts ont été tâtonnants J’étais novice en la matière et par conséquent j’ai dû m’accoutumer aux différentes techniques. Dans un premier temps, il a fallu que je m’équipe. Le matériel nécessaire à ce travail doit être de qualité et robuste. Je me suis donc tournée vers des fournisseurs dont les produits sont réputés pour leur efficacité. Certes, ce fut un coût mais le bien-être n’a pas de valeur. De plus, les notices explicatives étaient d’une grande clarté et pour une néophyte c’était appréciable ! J’ai fait plusieurs essais avant de manipuler avec aisance. Paradoxalement, le broyeur, appareil le plus coûteux et le plus volumineux, était de loin le plus aisé à manipuler. J’adorais appuyer sur le START et entendre le ronronnement de la machine. J’étais alors emplie d’un sentiment de satisfaction quasi jouissive. J’ai eu en revanche pendant un bon moment une certaine répugnance à utiliser la tronçonneuse. Elle était d’une grande utilité pour diviser les déchets de gros gabarit mais je détestais le son qu’elle émettait. Sa lame dentée telle un rictus me faisait froid dans le dos. Pour passer ce moment le plus agréablement possible, j’écoutais les Moody Blues et leur Nights in White Satin. Un rituel que je pratique encore.
    Le nuisible est partout, tapi dans un coin, prêt à bondir et vous gâcher votre existence. Mais le nuisible est idiot car vaniteux. Croyez moi, il n’y a pas plus imbécile qu’un nuisible. Vous pouvez le piéger facilement. Plusieurs sont restés accrochés à ma toile pour mon plus grand bonheur.
    Comme je vous l’ai dit, j’ai adopté ce mode de vie depuis de nombreuses années. Maintenant, je ne me pose plus de questions. Les choses se font naturellement. Je me sens bien, je respire, mon espace est sain, lumineux, serein. Je veux vous en faire profiter. J’ai décidé de poursuivre mon œuvre. Je ne prêcherai pas, j’agirai. Il en va de votre vie. Regardez bien autour de vous, l’humanité est infestée.
    Oui un grand travail m’attend.
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  • 12 Mars 2008

    La lourde porte type « coffre-fort » s’est refermée dans un bruit sourd, lugubre.
    Je suis resté debout, hébété. J’ai humé l’air vicié. J’ai regardé les murs gris. L e sol gris. Face à moi, une table en béton et sa chaise de plastique. Grises elles aussi !
    Au-dessus, l’unique fenêtre a attiré mon attention.
    Dehors, le ciel est …gris !!
    Il pleut. Il pleut mais c’est à l’intérieur de moi que gronde l’orage. La grêle de la colère martèle mon cerveau. Je réalise alors tout la mesure de mon présent. Le froid de mon futur envahit mon cœur, mon âme, mes os. Je respire mal. Je serre les dents.
    Je me décide enfin et avance d’un pas. Puis d’un autre. Je suis au centre de la pièce. Déjà !
    A ma droite, rivé au sol, une forme étrange et dégoulinante de crasse. Je devine au rouleau de carton vide qui traîne au sol qu’il s’agit d’un wc. Pas d’abattement ni de lunette. Un bouton poussoir sert de chasse d’eau. Tout près, un lavabo ébréché, rivé au mur cette fois. Même état hygiénique ou presque. Même bouton poussoir.
    Je reste là de longues minutes encore. Une heure peut-être. Je ne sais pas. L’odeur pestilentielle des waters me monte à la gorge.
    Mon regard enfin se porte sur ma gauche. Ici, on est comme un caméléon. Pas besoin de tourner la tête pour voir le lit en béton. Gris forcément. Je me dis qu’ils ont dû avoir des promos sur la peinture, mais çà ne me fait pas sourire. Non. Je ne sourie pas. Je serre un peu plus les dents. Elles grincent. Je déglutie avec peine.
    Une couverture trouée, souillée, recouvre le lit de moitié. Kaki !! Elle est kaki !! Ou a dû l’être autrefois…
    Kaki !! Seule tache de couleur dans cet univers de grisaille.
    Seule ? Non…
    Tout au bas du mur, une inscription m’intrigue. Un pas vers elle.
    Elle est rouge !
    Rouge Sang.
    Rouge Colère.
    Rouge Haine…
    Je m’accroupis pour mieux déchiffrer le graffiti.

    « GO FUCK »

    Cette fois, un sourire sarcastique effleure mes lèvres sèches tandis que des larmes incandescentes s’approprient mes yeux fatigués.

    « Trop tard ! C’est déjà fait !! »

    Je ne suis plus André Bauval.
    Je suis le matricule 1463 Z
    Je viens d’en prendre pour 15 ans…


    _ « Qu’est-ce que tu fais ? Est-ce que ça va ? »
    Julien referma prestement le petit carnet aux feuilles jaunies, à l’écriture tremblante, et le glissa dans le tiroir de son bureau.
    -Oui, çà va Chérie. J’arrive dans une minute. »
    Lentement, il quitta le fauteuil de cuir fauve et rejoignit le rez-de-chaussée où de nombreuses personnes, déjà, présentaient leurs condoléances, une tasse de café à la main, louant hypocritement les soi disantes qualités de son frère.
    Son frère retrouvé pendu dans sa cellule le 25 octobre 2023, trois jours auparavant.





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  • Présentation de l'auteur : je m'apelle Louis Esparza, et
    j'écris actuellement, de courtes histoires noires autour d'un thème central : un bar la nuit. J'ai un blog sur lequel je publie ces histoires, mais très peu de
    visiteurs : http://petitesnouvelles.blogspot.com/
    De moins en moins d'amis...

    Présentation du texte : C'est le 1er de la série


    Un certain sens de l’honneur.


    A mon arrivée au Lucky bar, la nuit et moi étions déjà bien entamés.Toutefois je mis un point d'honneur à franchir le seuil de l'établissement sans tituber. Non par peur du patron, qui ne m'avait jamais refusé l'entrée, mais plutôt pour le cas - hypothétique - ou une jeune fille peu farouche serait séduite par mon physique avantageux.
    - Salut connard, tu veux une bière ?
    Il a pris mon poing dans la gueule avant d'avoir mit un point d'interrogation à sa phrase. Pas question de se laisser insulter dans un lieu public, à cette heure là. Surtout à cette heure là ! Il faudrait se pencher un jour sur ce problème crucial : Plus l'heure et la consommation d'alcool augmentent, plus le sens de l'honneur est à vif.
    Honneur ou pas, j'ai pas fait de détail, et le nez de mon adversaire a explosé comme un fruit s'écrasant sur le carrelage de la cuisine un jour de maladresse. D'accord, c'était Roger mon pote, d'accord j'l'ai pas reconnu, mais on ne va pas m'accuser d'un mouvement d'humeur bien
    compréhensible, non ? En tout cas, mon geste a déclenché une bagarre de légende. Je vous dis cela mais moi je n'ai rien vu, on m'a raconté.
    J’avais à peine posé ma main sur la gueule de ce con de Roger, qu'un tabouret de bar - métallique ! - m'expédiait dans les nuages.
    - T'es content de toi ?
    C'est l'harmonieux organe de Riton le patron qui me sort de mon inconscience. Je suis assis dos au bar et couvert d'éclat de verre. Une main m'aide à me relever, celle de Roger. Putain la gueule ! Il n'a jamais été très beau mon pote, mais là c'est terrible : il est laid,
    mais avec plein de couleurs rigolotes. Demain matin au guichet de la grande Poste, il va avoir du mal à caser ses produits financiers aux clients désirant des timbres. Je me redresse et constate que le bar est vide et dévasté. J'évite de regarder mes deux compagnons et me penche sur l’intéressant problème posé par la protubérance qui enfle à l’arrière de mon crâne. La douleur me taraude le cerveau. Je sais que cette douleur insistante ne m’exonère pas de celle qui vrillera mon cerveau demain à mon réveil. Il est d’ailleurs incroyable qu’un cerveau
    si peu important puisse abriter tant de douleur.
    - T’es content de toi ?
    Riton insiste lourdement, je sens des reproches à peine voilés dans le ton de sa question. Finement je contre attaque :
    -T’es obligé d’avoir des tabourets en fer ?
    - Fait pas le mariole avec moi Martin, tu as vu l’état du bar ?
    Je lève vivement les bras, déclenchant une gerbe de feu sous mon crâne.
    - Doucement les mecs, j’ai rien cassé moi. Adresse toi plutôt à ceux qui ont fait cela.
    Riton malgré son embonpoint est sur moi a une vitesse étonnante.
    - Tout est de ta faute Martin, Tu as vu la gueule de Roger ?
    Je ne puis réprimer un sourire et malgré sa colère je vois les yeux de
    Riton s’allumer de gaieté.
    - Il est con aussi ce Roger, me parler comme il l’a fait à une heure
    aussi tardive c’est du suicide.
    - Mon pauvre Martin, tu sera toujours une cloche, y’a pas d’espoir.
    Riton s’éloigne découragé, traînant sur ses épaules fatiguées toute la misère du Monde.
    J’essaye de comprendre :
    - Qui a foutu ce bordel à part moi ?
    - Tous les clients s’y sont mis, qu’est-ce que tu crois ? Ils n’attendaient que ça, un prétexte, une excuse, n’importe quoi pour se défouler et... pour certains, se venger de moi.
    - Qui ?
    - Laisse tomber c’est mes oignons.
    Mais Roger ne peut pas s’empêcher de parler :
    - La bande du Macumba tu parles !
    Je siffle entre mes dents.
    - Putain ! y’avait Rémy et ses caïds ?
    - Ses caïds seulement. Et Riton du bras désigne la salle :
    - Ca suffisait non ?
    Je suis vraiment emmerdé et j’essaye de calmer Riton.
    - Ecoute, c’est pas grave, je vais t’aider à réparer et je payerais les dégâts.
    - Arrête ton cinéma Martin, tu n’as pas une tune et tu le sais bien, tu bois à crédit depuis des mois.
    - Embauche moi alors.
    C’est ma vieille rengaine depuis que je suis au chômage, bosser sur les pentes, dans un bar sympa. Un rêve quoi !
    Riton ne daigne même pas me répondre. Il échange un regard lourd de sens avec Roger. Je ne suis pas surpris lorsqu’il déclare :
    - Martin c’est terminé, je ne veux plus te voir ici. Plus jamais c’est bien compris ?
    - Mais...
    - Non. Tu te casses et c’est tout.
    Je comprends qu’il parle sérieusement et suis saisis d’effroi : Si les bars de « Prime time » me sont encore tous ouverts, le Lucky est le dernier bar de « Deuxième partie de soirée » qui me laisse encore entrer. Que vont devenir mes nuits si Riton reste inflexible ?
    Je me traîne vers la sortie, espérant par mon allure de martyr infléchir la volonté du patron. Macache, personne ne me retient et je suis au bord des larmes. J’ai l’impression de perdre ma dernière famille. Au moment de franchir le seuil, je me retourne théâtral en diable :
    - Je vais tout arranger, tu vas voir.
    Et je sors dignement. Après un ou deux pas j’entends la voix de Roger crier à mon adresse.
    - Fais pas de conneries.
    Evidemment j’en ai fait des conneries. Mais que faire d’autre ? Au stade où j’en étais, un peu plus un peu moins...
    Le chagrin et la colère m’aveuglaient lorsque je suis entré au Macumba.
    Ils n’étaient que deux avec Rémy et la surprise les a paralysés. Enfin je suppose que c’est la surprise, à moins que mes yeux n’aient trahi ma détermination et ma folie. Toujours est-il que je me suis farci les deux clients sans peine et sans bruits. Rémy me regardait les yeux ronds et la bouche ouverte. J’ai pris ses cheveux à pleines mains et lui ai écrasé la gueule sur le comptoir. Il y a eut des craquements du coté de sa mâchoire et je l’ai fini à coup de bouteille. J’ai foncé sur la caisse ramasser la recette de la soirée. Rémy s’est redressé alors que j’allais l’enjamber pour sortir. Grave erreur mon pote : mon pied lui a défoncé la tête. Le coup de pied c’est ma spécialité faut dire. Je suis le Platini de la baston. Là pour le coup, il n’a pas aimé la série de tirs au but mon petit Rémy. J’y suis allé de bon coeur c’est sur. Ce salaud m’avait foutu dehors de son bar il y a quelques mois pour une sombre histoire de fille, et je suis rancunier. D’accord, je n’étais pas obligé de ramasser ce couteau qui traînait, mais il n’avait qu’à mieux ranger son bar ce connard.
    Je suis entré au Lucky comme un héros et j’ai jeté l’argent sur le comptoir. Riton et Roger me regardaient épouvantés et c’est la que je me suis aperçu que j’étais couvert de sang. La fatigue m’a pris d’un coup et j’ai dû m’asseoir. Comme au Macumba, aucun mot n’a été échangé, mais je vois Riton se diriger vers le téléphone. Il va appeler les flics mais
    je m’en moque, j’ai remboursé ma dette et ce bar me sera toujours ouvert.
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