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Par Aloysius-Chabossot le 14 Décembre 2010 à 15:47
Après 1830, les tuiles ne vont cesser de choir sur l’auguste crâne de Victor, à tel point qu’un jour, excédé par les épreuves que lui envoie la fatalité (ou quelqu’un d’autre, on ne sait pas trop), il s’exclame devant son vieil ami Lamartine : “Ah ! Je t’assure, mon bon Alphonse, y’a des jours, je suis à deux doigts de me tirer un pruneau dans le melon” (in Alphonse de Lamartine “Mes amis, mes amours, mes emmerdes” 1847). Il faut bien avouer que rien ne lui est épargné. Tout d’abord, son camarade de 30 ans Sainte-Beuve, qu’il surnomme avec beaucoup d’affection et de tendresse “ Sainte-Bave”, lui pique sa femme, Madame Hugo. Heureusement, il trouve bien vite une parade en expérimentant tourniquet bulgare, brouette japonaise et autres positions acrobatiques avec Juliette Drouet, une actrice peu économe de ses charmes. Il continue dans le même temps de publier des livres, comme “Les rayons et les ombres” ou “Comment réussir un bon pot-au-feu en moins de 50 minutes”. Il se rend également chez le dentiste afin de se faire arracher une molaire défectueuse (le dentiste, à moitié aveugle, se trompe de dent, ce qui donnera lieu à un procès retentissant).
En 1841, il entre à l’Académie Française, et ce prestigieux statut lui assure un revenu fixe équivalant à un smic et demi, des tickets restaurant et un abonnement gratuit à la piscine Deligny. Mais l’opulence matérielle ne fait pas tout, et Victor doit affronter, dès 1843, de nouveaux déboires. D’abord, c'est l’échec cuisant de son drame, “Les burgraves” qualifié par le critique Gustave Planche de “nanar du dimanche soir, à regarder entre amis autour d’une pizza aux quatre fromages et de quelques bières, lorsqu’il n’y a rien à la télé”. Comme si cela ne suffisait pas, sa fille Léopoldine et son mari se noient dans le Seine lors d’une séance de ski nautique mal préparée (elle avait oublié les skis sur la berge, et son mari, trop confiant dans ses capacités, n’avait pas trouvé nécessaire d’équiper sa barque d’une deuxième rame). Fou de douleur, Victor reste cloîtré chez lui et passe son temps à regarder Bfm Tv en boucle. Il sort de sa torpeur en 1845 pour devenir député. Il ne cessera dès lors d’interpeller le parlement sur les dangers de l’eau lorsqu’elle est présente en grande quantité, et déposera même une proposition de loi visant à émasculer les fabriquants de skis nautiques avec une pince à épiler.
Pour que son combat soit reconnu, il soutient ouvertement la candidature à la présidence de la République du Prince Louis Napoléon, qui lui a promis de faire de la lutte contre les skis nautiques l’axe principal de sa politique sociale. Mais le prince, de tempérament sanguin, n’a pas la patience d’attendre la date des élections, et prend le pouvoir le 2 décembre 1851, qu’il proclame officiellement “Journée du ski nautique”. Vexé, Victor Hugo s'exile. Il passe tout d’abord par la Belgique, où il restera le temps d’écrire “Le plat pays”, qu’il jettera immédiatement à la poubelle (le texte sera récupéré et soigneusement conservé par sa femme de ménage, Franscisca Brel).
Victor recherche ensuite un endroit plus ensoleillé afin de s’installer durablement tout en bronzant en toute quiètude. Nul en géographie, il se fait refourguer par un agent immobilier véreux une bâtisse sur l’île de Guernesey, présentée pour l’occasion comme “la Riviéra anglaise”. Coincé sur son bout de rocher, Victor s’ennuie, et les fréquentes virées au duty-free du village, en alternance avec la rédaction de violents pamphlets sur les agents immobiliers ne suffisent pas - loin de là -à combler ses longues journées.
Il va néanmoins y rester 19 ans, prenant au fil du temps de l’embonpoint et cultivant, avec ses cheveux blancs, un look très “Jean Gabin en fin de carrière” qui lui sied à merveille (Une anecdote raconte qu’il se serait laissé pousser la barbe car il avait assez que les passants l’interpellent dans la rue en s’écriant “T’as de beaux yeux, tu sais !” )
En 1870, coup de théâtre : l’empire chute, et Victor fait immédiatement ses valises, direction la capitale. Gonflé à bloc, il est déterminé cette fois-ci à faire adopter sa proposition de loi sur les fabricants de skis nautiques. Mais on lui fait bien vite comprendre que les enjeux financiers sont trop importants, que les temps sont difficiles pour tout le monde, et qu’on lui écrira. Révolté, Victor retourne à Guernesey où il tente de passer son permis de conduire. Il échoue 5 fois au code, et au moment de passer la conduite, l’examinateur lui apprend que les voitures sont interdites de circulation sur l'île. Hors de lui, Victor écrit un violent pamphlet sur la liberté de circulation. C’est également à cette époque qu’il se met au tricot.
Il retourne en France, accompagné de deux volumineuses malles pleines de costumes, de chemises et de cravates entièrement tricotés par ses soins et fait la tournée des salons littéraires, où il remporte un succès sans précédent. La mode de la veste et du pantalon tricotés prend de l’ampleur, gagne la rue : les magasins Pingouin fleurissent à chaque coin de rue et Victor est considéré comme une véritable icône de la mode, le parangon du bon goût français, bien avant Jean-Claude Gautier et ses ridicules polos de marin.
Mais le temps passe, nous sommes déjà en 1885, il est temps pour le grand homme de rejoindre les verts pâturages de l’au-delà, ce qui est chose faite le 22 mai. Pour l’occasion, la République reconnaissante met les petits plats dans les grands et lui organise des funérailles à tout casser, qui feraient passer le défilé de la victoire de l’équipe de France sur les Champs-Elysées en 98 pour l’assemblée générale annuelle de l’association des admirateurs de Désireless.
J’espère que cette biographie, modeste mais complète, vous aura donné envie de vous plonger sans plus attendre dans l’oeuvre de cet homme exceptionnel.
Titres à lire en priorité :
“Dentistes, opticiens : l’alliance diabolique” - 1843
“Les dessous louches du ski nautique en France” - 1846
“Agent immobilier, un métier ? Laissez-moi rire !” - 1853
“Le permis de conduire, cette escroquerie” - 1863>
“Ma vie dans l’ombre de Jean Gabin” - 1868
“Je réalise moi-même mon duffle-coat en tricot” - 1872
"Voyage, voyage..."
6 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 10 Décembre 2010 à 10:35
Tout le monde connaît Victor Hugo grâce à sa longue barbe blanche. Mais sait-on qu’il ne l’a pas toujours portée ? Non, et c'est bien là un aspect révélateur du paradoxe qui entoure le grand homme : globalement célèbre, ignoré dans les détails.
Par ailleurs, chacun sait que Victor Hugo a écrit de nombreux ouvrages, et certains parmi les plus érudits pourront même citer quelques titres, mais pour le reste, qui les a lus ? En ce qui me concerne, il m’est arrivé à une ou deux reprises de lires des pages du grand écrivain, mais j’ignore à quels romans ils se rattachaient (je ne suis même pas sûr qu’elles soient de Hugo, je pense tout particulièrement à ce texte inscrit au dos d’une boîte de corn-flakes).
En revanche, j’ai vu des films de Victor Hugo (comme on dit “j’ai vu un film de Robin Williams”, même si l’on sait très bien que Robin Williams ne sait pas tenir une caméra) et c'est plutôt pas mal, il y a de l’idée. Ma scène préférée est de loin celle où l’on voit Gina Lolobrigida exhiber ses jupons en tournicotant sur le parvis de Notre Dame. Hélas, l'histoire est trop souvent gâchée par l’apparition incongrue d’Antony Quinn, bossu et outrageusement grimé.
Sinon, Victor Hugo voit le jour le 26 février 1802 à Besançon. Il est très difficile de se faire une idée précise de cette petite ville de garnison en ce tout début de siècle, et je dois avouer que j'ai eu la flemme de faire des recherches. Le père du petit Victor est militaire (son supérieur hiérarchique est Bonaparte), et sa mère s’appelle Sophie Trébuchet, nom propice aux moqueries et quolibet. Cependant, le jeune Hugo n’en a cure, et c'est à 14 ans qu’il écrit d’une plume assurée dans un cahier d’écolier qui traînait sur le bureau : “ Je veux être Chateaubriand ou rien”.
La place de Chateaubriand étant déjà prise par un personnage portant le même nom, le jeune écrivain doit se résoudre à faire un choix : être rien, ou alors porter un patronyme plus modeste. Ayant opté pour la seconde solution, et ne possédant qu’une imagination rudimentaire, il se rabat tout bêtement sur le nom d’Hugo. Il se met alors à écrire des vers et finit en 1822, alors qu’il a tout juste 20 ans, par publier “les Odes”, un recueil que Vigny trouvera “sympa” et Lamartine “pas dégueulasse”. Le jeune Victor va d’ailleurs rencontrer les deux suscités dans le salon de Charles Nodier, entre la cheminée et la grande fenêtre qui donne sur le jardin.
Victor poursuit cahin-caha et tant bien que mal son petit bonhomme de chemin : il écrit des choses, rencontres des sommités de son époque, en somme, la vie suit son court. L’un dans l’autre, il n'est pas à plaindre.
En 1827, cependant, il écrit dans la préface de “Cromwell” une sorte de “Romantisme pour les nuls” qui va faire son petit effet. Selon lui, pour écrire romantique il suffit de suivre quelques trucs simples : condamner les règles aristotéliciennes de l'unité de lieu et de temps, conserver quand même la règle de l'unité d'action sinon c'est le bazar, s’échiner à représenter la réalité sous tous ses aspects et enfin, négocier avec les directeurs de théâtre des entractes-buvettes à chaque fin d’acte.
Avec “Hernani”, il met enfin en pratique, trois ans plus tard, ses propres recommandations. La pièce se classe bien vite en tête du box-office, et consacre Victor, qui n’a que 30 ans, comme un auteur définitivement en vogue : à lui les repas à l’oeil et les promenades en fiacre sans bourse délier !
Cette euphorie va-t-elle s’installer durablement ?
Vous le saurez bientôt en lisant ici même : “Victor Hugo, deuxième partie, le déclin”
"That's the story of my life, sweetie"
7 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 10 Décembre 2010 à 10:23
Face à la manifeste incurie des jeunes français en matière d’histoire littéraire, j’ai décidé de me lancer dans une nouvelle entreprise, que je qualifierai en toute modestie « d’intérêt public ». Ainsi je présenterai ici même la vie et les œuvres des plus grands auteurs français, dans un style alerte et vif, propre à retenir l’attention de nos chères têtes blondes, de coutume plus promptes à bavasser sur facebook que de s’immerger corps et âme dans la lecture d’un bon vieux Largardémichard.
Et qui d’autre choisir, pour inaugurer avec le faste qu’il convient cette prestigieuse série, que le grand Victor Hugo ? (à part peut-être Guy des Cars)
"Grâce à M. Chabossot, on va être fortes
en écrivain, c'est sensass !"
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Par Aloysius-Chabossot le 6 Octobre 2010 à 21:44
Les écrivains en devenir voient généralement d’un sale oeil les donneurs de conseils, et sont prêts à tremper dans un bain d’acide tout inconscient qui oserait leur suggérer la moindre modification dans une prose assurément coulée dans le bronze.
Une anecdote récente tend à relativiser le bien fondé d’un position aussi radicale.Beaucoup d’entre vous connaissent probablement Raymond Carver, noveliste américain, réputé pour sa “sécheresse” d’écriture : les faits, rien que les faits, sans psychologie envahissante ni pathos échevelé.
En 1981, Carver sort un de ses plus fameux recueils, “Parlez-moi d’amour”, qui va rapidement rencontrer le succès, autant public que critique.
Cependant l’exhumation en 2010 de la version “originale” du livre va apporter un nouvel éclairage, totalement inédit et contradictoire, avec l’image de l’écrivain “minimaliste” que l'on connaissait jusqu’à présent.
Ce qui intrigue, tout d’abord, c'est la différence de pagination : 336 pour “Débutants”, 192 pour “Parlez-moi d’amour”. C’est qu’entre les deux versions s’est opéré un sérieux dégraissage. Carver aurait-il revu le manuscrit à tête reposée et de lui-même mis sa prose au régime sec avant publication ? La réponse est plus étonnante : un homme, Gordon Lish, éditeur de son état et à l’époque personnalité très écoutée du New-York littéraire, s’est occupé du travail, allant jusqu’à réduire de 78% le texte initial (dans la nouvelle “Où sont-ils passés, tous ?”, par exemple). En somme, il déshabille les textes de tous leurs oripeaux pour ne laisser que la structure nue. Que pense Carver d’un tel traitement ? Sa position est ambivalente. D’un côté il sait qu’il doit son succès à Lish, qui l’a soutenu à une époque où il était inconnu (et alcoolique). D’un autre, il ne se reconnait plus dans ses textes, et en ressent une véritable souffrance.
Quoiqu’il en soit, Carver a poursuivi dans la même veine jusqu’à la fin de sa vie. Il fut baptisé “Pape du minimalisme”, et il était mieux placé que quiconque pour goûter toute l’ironie induite dans cette appelation.
Donc, écrivain en devenir qui me lisez, vous savez ce qu'il vous reste à faire si votre grand tante suggère du bout des lèvres quelque menus remaniements dans votre grand oeuvre ?
Balancez-la sans plus attendre dans un bon bain d'acide !
Jusqu'à preuve du contraire, votre grand-mère n'est pas - et ne sera jamais - une personnalité très écoutée du New-York littéraire.
Pour se faire une idée, voici ci dessous un extrait de la version originale, suivie de la version de 1981.
"Ce soir-là, en rentrant du travail, Maxine, la femme de L. D., lui demanda de ficher le camp ; il était saoul une fois de plus, et il injuriait Rae, leur fille de quinze ans. Assis à la table de cuisine, L. D. et Rae se disputaient. Maxine n'eut même pas le temps de déposer son sac ni de déposer son manteau.
"Dis-lui, Maman, dis-lui de quoi nous avons parlé", lança Rae.
L. D. tournait son verre dans sa main mais ne buvait pas. Maxine lui lançait un regard féroce et déconcertant.
"Ne fourre pas ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien, dit-il. Je refuse de prendre au sérieux quelqu'un qui reste assis toute la journée à lire des revues d'astrologie.""
"Parlez-moi d'amour" ("Un dernier mot"), p. 181
"La femme de L.D., Maxine, le mit à la porte un soir après que, rentrant du travail, elle l'eut trouvé soûl une fois de plus et en train d'agonir Bea, leur fille de quinze ans. L.D. et l'adolescente étaient attablés à la cuisine et se disputaient. Maxine n'eut pas le temps de ranger son sac ni d'ôter son manteau. Bea dit, "Dis-lui toi, maman. Dis-lui de quoi on a parlé. Hein, que c'est dans sa tête ? S'il veut arrêter de boire il n'a qu'à se dire d'arrêter. Tout ça c'est dans sa tête. Tout est dans sa tête.
- Tu crois que c'est aussi simple que ça, toi ?" dit L.D. Il tourna le verre dans sa main mais ne but pas. Maxine l'enveloppait d'un regard féroce et déconcertant. "C'est des conneries dit-il. Ne viens pas mettre ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien du tout. Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est dur de prendre au sérieux quelqu'un qui passe la journée à lire des revues d'astrologie."""Débutants", ("Un dernier mot")
Raymond "J'aurais dû écouter ma grand-mère" CarverSources : Le Monde du 23/09/10
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