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Par Aloysius-Chabossot le 4 Février 2020 à 13:11
Été 1976, plage de Cavalaire, dans le sud de la France. Le soleil darde ses impitoyables rayons sur les corps alanguis et à moitié nus des touristes étendus sur le sable brûlant.
Voilà un excellent début : tous les éléments sont d’emblée réunis pour que le lecteur puisse espérer une explosion de sensualité dans la moiteur estivale. Cerise sur le gâteau : l’utilisation du verbe « darder », dérivé du nom commun « dard », qui certes désigne un organe vulnérant impair, creux, parfois venimeux, porté à l’avant ou à l’arrière du corps par divers animaux invertébrés, mais caractérise également, dans la terminologie fleurie, vaporeuse et poétique en usage dans les récits érotiques, le sexe de l’homme. Aussi l’évocation d’un dard, même de façon plus ou moins subliminale, est-elle toujours la bienvenue, et ce dès l’entame de l’histoire. À peine a-t-il commencé sa lecture que le client pressent sourdement, qu’il va en avoir pour son argent. L’hypothèse d’une érection anticipée est même envisageable (car bien sûr, dans la plupart des cas, c’est un homme).
Michel, jeune adolescent de seize ans traîne ses tongs dans le sable en emboîtant mollement ses pas sur ceux de ses parents qui le précédent de quelques mètres.
Quoi de plus affriolant en effet qu’un « jeune adolescent » que l’on imagine déjà assailli de questions sur les mystères de la vie en général, et plus particulièrement sur ce sexe qui se dresse immanquablement à l’approche de la moindre jupette. Il veut des réponses, et là encore, le lecteur pressent sourdement qu’il ne va pas tarder à les obtenir de la plus plaisante des manières.
Michel n’aime pas son prénom. Déjà, à la naissance du garçon, en 1961, il n’avait plus guère le vent en poupe, sauf chez les parents d’un certain âge, qui avaient trop longtemps attendu l’avènement d’une certaine aisance matérielle pour se décider enfin à se reproduire dans les meilleures conditions matérielles possible.
Se méfier tout de même des considérations sociologiques à l’emporte-pièce. À dose homéopathique, à raison de quelques maigres remarques savamment disséminées sur l’ensemble du texte, cela peut éventuellement amuser le lecteur, voire lui laisser à penser qu’il se trouve en présence d’un écrit ambitieux. À la rigueur, ces apartés pourraient même lui servir d’alibi si d’aventure il se faisait surprendre avec le livre entre les mains, sauf bien sûr si son caleçon est déjà baissé jusqu’aux mollets. Ne perdons cependant jamais de vue l’objectif de départ : le rut (probablement solitaire), seul véritable aboutissement susceptible de satisfaire notre client. Alors les digressions plus ou moins digestes sur le prénom de notre héros, c’est non.
Le trio se dirige vers un quadrillage de transats bordés de parasols jaune citron qui constitue, en dehors de quelques cabines en bois blanc destinées à se changer, l’essentiel de la plage privée dénommée « Beach by the sea ». Jean-Bernard, le père, chapeau de paille visé sur le crâne, chemise légère et bermuda en flanelle, s’engage dans une allée, le pied conquérant, puis indique d’un index qui n’admet pas la contradiction l’emplacement où la petite famille trouvera refuge pour cet après-midi de farniente bien mérité.
Attention à ce que la description des personnages ne les plonge pas de pied en cap dans la sombre marmite du pathétique et du grotesque réunis. Qu’est-ce que c’est que ce chef de famille à la gestuelle ridicule ? Pensez-vous vraiment qu’un tel profil contribue à la diffusion d’un parfum subtil de sensualité, avant que l’action ne commence vraiment ?
À peine a-t-on posé les sacs de plage à côté des transats convoités qu’un jeune homme en t-shirt blanc/slip de bain/claquettes s’avance d’une démarche chaloupée magnifiant le dessin de ses cuisses galbées. Tout en éclaboussant les nouveaux arrivants d’un sourire immaculé, il extirpe un carnet à souche de l’avant de son maillot de bain puis, d’une langue agile, humecte le bout d’un crayon issu du même endroit.
J’avoue que l’introduction de ce nouveau personnage à l’allure vaguement équivoque serait à même de susciter quelque méfiance chez notre lecteur lambda. S’il peut être utile, voire bénéfique, de parfois semer le doute dans son esprit, attention toutefois à ne pas l’effaroucher par la perspective d’un développement narratif qui pourrait aller à l’encontre de ses convictions sexuelles. Rappelons que la littérature érotique, de par sa fonction onaniste, est fortement compartimentée en fonction des appétences de chacun. Ainsi, un mâle hétéro recherchera exclusivement des histoires mettant en scène des individus de sexe opposé, avec toutefois une certaine tolérance, voire un réel intérêt, pour quelques péripéties saphiques annexes. Cependant, en aucun cas il n’est prêt à tolérer un quelconque rapport d’ordre homosexuel entre hommes. Or le surgissement impromptu de ce sémillant garçon de plage pourrait laisser supposer un tel développement avec le fils de la famille, ce qui marquerait un arrêt net et définitif de la lecture chez le client hétéro moyen. Osons par ailleurs espérer que l’éventualité d’une relation sensuelle avec le père ou la mère ne soit pas considérée comme une option valide, tant ces deux personnages ont été présentés, jusqu’à présent, sous un jour peu propice à occuper un rôle actif au sein de cette histoire.
Pendant que sa mère règle le plagiste, Michel s’étend, les bras en croix, sur le transat au tissu strié de bleu et de blanc, comme la culotte d’Obélix.
Par pitié, évitez ces comparaisons saugrenues ! Je suis au regret de vous annoncer que le début d’érection imprudemment évoqué un peu plus haut n’est désormais plus qu’un lointain souvenir chez le lecteur dépité.
Sous le parasol, la chaleur est étouffante, et c’est à peine si un léger zéphyr venu du large réussit à imprimer l’épiderme. Le jeune garçon tourne sa tête vers la droite : le père et la mère, suants et écarlates, s’affairent à débarrasser leur lourde carcasse des oripeaux de la ville. Orientant à présent son visage vers la gauche, le regard de Michel découvre, sur le transat voisin, le corps étendu d’une femme, que seules quelques pièces de tissus judicieusement positionnés préservent in extremis de la nudité intégrale.
Ça commence, enfin, à devenir intéressant. Cela dit, vous auriez pu vous passer de l’évocation du côté droit, on aurait gagné du temps.
Couchée sur le dos, elle offre l’impassible immobilité d’une statue antique, ou de tout autre objet confectionné dans un matériau inerte.
Éviter les précisions inutiles, encore une fois. Pensez à votre lecteur !
Le regard camouflé derrière des lunettes aux verres opaques, son attitude est baignée de mystère. S’abîme-t-elle dans la contemplation du parasol au-dessus d’elle ? À moins que de torrides pensées aux relents de moiteur langoureuses n’assaillent son esprit asphyxié par la torpeur ambiante ? Ou alors elle dort.
À votre avis ? Quelle option va cocher le lecteur ? Mettez-y un peu de bonne volonté, mon vieux.
Soudain enhardis par l’hypothétique somnolence, les yeux de Michel abandonnent le profil de la femme pour s’aventurer plus bas. Une fois franchie la côte du mamelon, il opère sans plus attendre la vertigineuse descente de son versant opposé pour aborder la douce plaine du ventre, jusqu’à la périphérie du nombril.
Rappel : il ne s’agit pas du Tour de France. Changez de braquet, mon ami !
Soudain, il retient son souffle : passant par le surplomb des hanches, le tissu de la culotte de maillot de bain, en lévitation telle la corde du funambule au-dessus du précipice, offre à sa vue l’extravagante luxuriance d’une forêt amazonienne miniature (nous sommes au mitan des années 70, époque à laquelle la mode dite du « ticket de métro » ne s’est pas encore imposée aux esprits).
Nous voilà enfin au cœur du sujet, si j’ose dire. Dommage que la phrase entre parenthèses ne vienne ternir, par ses insipides précisions historiques, une belle impression d’ensemble.
Le souffle court, Michel ne peut détacher son attention de ce mont merveilleux dont il pressent sourdement les puissants sortilèges. Aurait-il découvert l’un des plus envoûtants mystères de la vie ? Quoi qu’il en soit, son zizi n’est pas loin de partager cet avis, lui qui en une poignée de seconde a pris des proportions inédites au point d’outrepasser les frontières de son slip de bain.
« Zizi », sérieusement ? Vous avez quel âge, exactement ? Faites un minimum d’efforts. Ce n’est pas comme si la langue française se montrait avare en synonymes pour qualifier l’appendice masculin : verge, phallus, membre, queue… Et si l’on veut bien se lancer dans la métaphore potagère : poireaux, concombre, aubergines, asperges : les légumes oblongs ne manquent pas. Quant à l’imagerie poétique, elle n’est pas en reste : le glaive de chair, le gourdin enchanteur, la matraque à plaisir, pour ne citer qu’eux.
— Mais enfin, Michel !
La voix de la mère vient de déchirer la moiteur ambiante de ses stridences indignées. D’un index impétueux, elle désigne le rivage sur lequel, à espace régulier, viennent s’étendre une succession de vaguelettes à la crête vaporeuse et moussue.
— Va te baigner immédiatement, ça va te calmer !J’avoue montrer de sérieuses inquiétudes quant à la suite de cette histoire…
Penaud, l’adolescent se lève, les mains pudiquement croisées sur son sexe turgescent.
Non, c’est trop tard : les appellations émoustillantes sont désormais inutiles : vous avez perdu votre lecteur.
Suspendant la lecture de « Du Rififi à Philadelphie », le SAS qu’il a acheté à la maison de la presse de la rue Charles de Gaulle, le père l’observe s’éloigner vers le rivage d’un air désabusé.
Non content d’avoir saboté en trois lignes le peu de tension narrative que vous aviez – on ne sait pas quel miracle – réussi à instaurer, vous aggravez votre cas avec de nouvelles considérations oiseuses. Vous êtes un cas désespéré, mon ami.
— Je ne te l’avais pas dit, grogne-t-il à l’adresse de sa femme, de ne pas le laisser regarder « la vie des animaux, hier soir ? Eh bien voilà le résultat. Ah ! Tu peux être fière de toi.
Ça y est, c’est fini ? Vraiment ? Mon Dieu… Mais quelle déception ! Quelle perte de temps, surtout ! Alors, écoutez-moi, si je peux vous donner un bon conseil : oublier définitivement le genre érotique, c’est pas votre truc. Quant à moi, je vais relire “Du rififi à Philadelphie”, ce chef d’œuvre de sensualité musclée éhontément cité dans votre torchon, et qui contient, dans mon souvenir – quelques passages propres à réveiller un mort.
Je ne vous dis pas merci, Monsieur.
2 commentaires -
Par Aloysius-Chabossot le 8 Août 2019 à 15:46
En guise d’introduction, je voudrais m’insurger immédiatement contre cette légende stupide qui voudrait que les poissons rouges n’aient pas de mémoire. Bien sûr les capacités de mémorisation sont très variables d’un individu à un autre, et je ne pourrais m’avancer sur l’ensemble de mes congénères. Au sein de mon aquarium, je cohabite avec une vingtaine de mes congénères, et si l’honnêteté m'enjoint de reconnaître que certains ne brillent pas par leur intelligence, tous possèdent des souvenirs qui remontent bien au-delà de trois secondes, n’en déplaise à certains médisants.
Cette précision étant apportée, je vais à présent aborder le vif du sujet, à savoir le récit de ma vie.
Henri, quelques jours avant sa tragique disparitionJe n’ai connu ni mon père, ni ma mère, ce qui fait de moi, du point de vue de l’état civil, un orphelin. Tout petit, j’en ai ressenti une certaine tristesse, jusqu’à ce que je me rende compte que les autres étaient dans la même situation. Nos débuts dans la vie étaient en tous points identiques : à un moment donné, on avait ouvert les yeux, et on s’était retrouvé à évoluer dans cet espace relativement spacieux bien qu’indubitablement confiné qu’on appelle, je crois, un aquarium.
Dans les premiers temps, j’ai cherché à appréhender de la façon la plus juste le monde qui m’entourait, afin d’en tirer des certitudes, toujours utiles pour avancer dans la vie. Très vite, j’ai pu constater que l’univers se divisait en deux parties distinctes. Tout d’abord, au centre de tout, il y avait les poissons rouges, ce petit groupe d’une vingtaine d’individus auquel j’appartenais, et qui semblait jouir d’une liberté absolue. Ainsi, nous avions tous la possibilité de monter, descendre, aller à droite ou à gauche dans notre aquarium sans que quiconque n’y trouve à redire. Nous ne nous en privions pas du reste. Pour ma part, j’affectionnais tout particulièrement les trajets en ligne droite, qui me menait d’une extrémité du bassin à l’autre. À la suite de quoi j’opérais un vif demi-tour, et recommençais dans l’autre sens. C’était assez jouissif, je dois en convenir. J’ai pratiqué cette activité de façon intensive tout au long de mon adolescence. Par la suite, je lui ai préféré des occupations moins intenses, comme les bains de bulles ou les siestes le long du rocher.
Je savais par ailleurs qu’il existait un autre monde, parallèle au nôtre, peuplé d’êtres gigantesques et d’une absolue laideur, dont la seule fonction apparente était de nous rendre la vie le plus agréable possible. Ainsi, à heure fixe, l’une de ses créatures venait déposer à la surface de l’eau une quantité prodigieuse d’excellente nourriture que nous nous empressions d’avaler. Mes compagnons, insouciants, avaient pour habitude de prendre les choses comme elles venaient, sans vraiment se poser de questions ; c’était là le secret de leur bonheur.
Pour ma part, je ne pouvais m’empêcher de me questionner sur les intentions profondes de ces créatures si vilaines et pourtant si bienveillantes à notre endroit. Pour tout dire, cela me semblait un peu trop facile pour être honnête.
Je crois que le moment est venu de vous parler d’Henri. Henri était mon ami, le meilleur d’entre nous, un beau poisson au corps robuste et élancé, à l’œil vif et curieux. J’avais fait sa connaissance, il y a longtemps, lors de mes déplacements répétés entre la paroi de gauche et celle de droite. Lui aspirait à la même chose, mais dans l’autre sens, ce qui a provoqué une collision, heureusement sans gravité. À partir de là, nous avons très vite sympathisé. Nous partagions la même curiosité pour le monde qui nous entoure, le même désir d’en découvrir et comprendre les mécanismes. Ainsi, c’est lui qui, le premier, avait remarqué que l’ignoble excroissance chargée de nous distribuer la nourriture n’appartenait pas toujours à la même créature. C’était une découverte fondamentale : il existait au moins deux de ces entités mystérieuses. Dès lors, il était aisé d’en imaginer une troisième, une quatrième, bref, une infinité. Cela donnait le vertige.
Naïvement, nous avions transmis cette information de première importance à nos collègues, espérant leur faire prendre conscience qu’il existait un autre monde plus riche que l’on n'avait soupçonné jusqu’à présent. Ils nous avaient simplement ri au nez : en quoi tout cela les concernait-il ? Tant que les repas étaient copieux et distribués à heures fixes ! Ce rejet moqueur de notre communauté n’avait que renforcé les liens qui existaient entre Henri et moi : désormais, nous avancerions seuls, envers et contre tout, insensibles aux lazzis, sourds aux quolibets. Que tous ces imbéciles restent à se vautrer dans leur béatitude satisfaite et aveugle.
L’esprit de conquête de mon ami ne connaissait pas de limite. C’est ce qui le rendait si remarquable à mes yeux. C’est aussi, hélas, ce qui l’a perdu.
Les événements ont commencé à s’accélérer le jour où l’excroissance informe d’une créature a déposé, au beau milieu de notre territoire, un imposant totem, d’une hauteur d’au moins trois poissons. Seuls Henri et moi avons eu le courage de nous approcher de l’édifice afin de mieux en étudier les contours, les autres se réfugiant derrière le rocher ou autour de la machine à bulles, tremblant de frayeur.
Après une observation minutieuse de haut en bas, mon ami se prononça, catégorique : il s’agissait bien d’une créature, avec toutefois quelques différences notables : la taille, bien sûr, mais aussi l’accoutrement, sans parler de cette immobilité imperturbable qui donnait froid dans le dos.
Pourquoi l’avait-on déposée ici ? Quel était son but, sa motivation ? Avait-elle au moins choisi d’être là, ou était-ce contre sa volonté ? Henri se tenait devant elle, guettant un signe qui ne venait pas.
Plusieurs jours ont passé, et Henri n’avait toujours pas bougé d’un centimètre, attendant toujours désespérément la moindre réaction. Sa concentration était telle qu’il avait dédaigné tous les repas, préférant jeûner plutôt que de courir le risque de rater le moment où l’incroyable se produirait.
La nuit suivante, alors que le néon était couché depuis longtemps, il vint jusqu’à moi, les traits tirés par la fatigue et la diète.
– Je crois que j’ai enfin compris, Michel.
Henri me parla alors d’une voix fébrile que je ne le lui connaissais pas.
– La vérité est lumineuse, Michel, tout prend enfin un sens, c’est merveilleux !
Quand je lui demandais si la statue avait enfin parlé, il me répondit, presque fâché :
– Pas du tout ! C’est beaucoup mieux que cela : j’ai reçu son message dans ma tête, en direct. C’est une invitation, mon cher Michel ! Ne vois-tu pas ses excroissances qui nous indiquent clairement la direction à prendre ? Comme lui est venu dans notre monde, nous devons, à présent aller dans le sien ! Voilà le message !
– Mais enfin, Henri, c’est de la folie ! Dehors, c’est l’inconnu ! Comment savoir comment nous serons accueillis ? Ça reste une aventure à l’issue bien aléatoire, si tu veux mon avis. De toute façon, quand bien même nous le voudrions, il n’y a à ma connaissance aucun moyen de sortir d’ici.
– C’est ce que tu crois, Michel, me répondit-il avec une drôle de lueur dans les yeux, c’est ce que tu crois.
Sans que je n’aie le temps de réagir, il fila au fond de l’aquarium et prit la direction de la surface à pleine vitesse. Sa première tentative échoua contre la vitre. Insensible à la douleur, il recommença aussitôt, une deuxième, puis une troisième fois. La quatrième fut la bonne, et c’est muet d’horreur que je le vis basculer par-dessus la paroi, s’évanouissant définitivement dans les ténèbres. Avant qu’il ne disparaisse à jamais, j’eus le temps de croiser son regard. Il avait l’air confiant de celui qui sait où il va.
On ne l’a plus jamais revu.
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Par Aloysius-Chabossot le 6 Août 2019 à 15:20
Je veux bien croire au paradis, c’est bien rassurant comme idée, finalement. Mais dans quel état arrive-t-on là-haut ? Si on perd une jambe sur terre, la retrouve-t-on une fois monté aux cieux ? Où si on a un cancer, il s’arrête net ou il continue de proliférer ? Aucune garantie là-dessus. En conséquence, mieux vaut partir en bonne santé, c’est plus prudent.
On a l’habitude de dire “Il est là-haut à présent, il discute avec... et là on met le nom d’un type mort qu’il aimait bien. Mais franchement, est-ce que cette proposition est tenable, si on considère la foule qu’il y a là-haut ? Comment retrouver facilement quelqu’un pour discuter avec lui ? À moins qu’il n’y ait un système de recherche sophistiqué. Et comment trouver un coin tranquille pour bavarder ? Et si l’on veut rencontrer une vedette morte, par exemple Marilyn Monroe, il doit y avoir une queue pas possible. Sans compter qu’il doit régner un boucan d‘enfer, là-haut, l’équivalent de la gare de Lyon un jour de départ en vacances, multiplié par un milliard.
Tout ça me tracasse, j’en ai donc touché deux mots à Christine, ma collègue, qui n’a pas d’aptitude particulière pour parler de ce genre de chose, mais qui se trouvait là tout simplement. En préambule, je pose quelques principes de base, histoire de voir si on est sur la même longueur d’onde. Je lui dis “Les hommes sont les seuls mammifères à avoir conscience de leur mort car nous sommes les seuls à penser”. Elle me répond “Il y a les chats aussi”.
Ça va être compliqué.
photo non contractuelle
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Par Aloysius-Chabossot le 17 Juillet 2019 à 16:37
Voici un passage extrait de mon prochain roman, intitulé jusqu'à présent " Tentative de rebond en terrain miné", mais qui devrait prochainement changer. Je précise à toutes fins utiles que l'histoire dans son ensemble ne tourne pas autour de Christina Cordulla et de sa sympathique émission.
Christina "Ma chérie" CordullaEn fin d’après-midi, il avait pris l’habitude de s’asseoir devant « Les reines du shopping » programme animé par Christina Cordulla, mannequin à la retraite de son état. Le principe était simple : la production confiait quelques centaines d’euros à cinq candidates qui disposaient dès lors de quatre heures pour dénicher des vêtements en lien avec le thème de la semaine (« Féminine en velours », « Branchée avec une doudoune », « Irrésistible au bal des pompiers » …), se faire coiffer et maquiller.
La composition du casting répondait à un schéma bien établi qui visait à la représentativité la plus large possible de la population féminine française, du moins celle qui regardait TF1. Ainsi parmi les concurrentes, on trouvait logiquement une ou deux jeunes femmes issues de la diversité, une ou deux jeunes femmes de type caucasien, et une vieille. En revanche, on ne voyait jamais de personne en surpoids, même vieille, alors qu’il n’était pas rare d’y retrouver quelque anorexique ou apparenté. Concernant les catégories socio professionnelles, une certaine harmonie était également respectée, sans jamais s’aventurer au-delà des classes moyennes ou populaires : femme au foyer, agent de mairie, coach de remise en forme, voire influenceuse sur Instagram, appellation commode pour celles qui n’exerçaient pas d’activité salariée régulière.
Le vendredi était consacré au récapitulatif des tenues choisies, et c’était l’occasion de revoir chaque candidate se dandiner grossièrement sur une sorte d’estrade de trois mètres de long qui se voulait probablement un subtil clin d’œil aux podiums de la fashion week. On découvrait ensuite les notes que les compétitrices s’étaient attribuées entre elles, et Christina Cordulla apparaissait enfin en majesté pour mettre tout le monde d’accord, ce qui donnait parfois lieu à quelques crises de larmes impromptues, conséquence de l’intense émotion ressentie face à cette femme souriante et longiligne, mentor fantasmé et modèle à suivre. En tout état de cause, la vieille ne gagnait jamais. C’était un peu cruel, mais il fallait reconnaître que, malgré tous ses efforts, elle ne faisait jamais le poids, comparée aux jeunes trentenaires fraîches et délurées avec lesquelles elle était mise en concurrence. L’important était de participer. C’est ce que devait leur rabâcher la production.
À vrai dire, la problématique de l’habillement sous contrainte n’intéressait pas particulièrement Marc, pas plus que les sempiternelles discussions autour du supposé manque de goût de l’une ou l’autre. Ce qui était fascinant, en revanche, c’était d’observer cette inextinguible soif de « gagne » qui habitait chaque candidate, prête pour arriver à ses fins à toutes les perfidies, habilement dissimulées sous le masque emphatique de la « fashion victime » pleine de tempérament et d’esprit. Cette extraordinaire capacité à écraser leurs adversaires sans le moindre état d’âme faisait d’elles de redoutables combattantes, parfaitement adaptées aux vicissitudes et aux contraintes de la vie moderne. Car il n’y avait pas de raisons pour qu’elles se comportent différemment dans les différents compartiments de leur existence : travail, relations sentimentales, familiales, etc. Assurément des exemples à suivre, se disait Marc, avant d’aussitôt capituler face à l’ampleur de la tâche. En vérité, il lui semblait plus naturel de s’identifier à la vieille du casting, systématique victime de ses impitoyables rivales. Le spécimen qui participait à « Branchée avec une doudoune » s’appelait Geneviève, 53 ans, directrice de maternelle. Consciente de ses handicaps, Geneviève avait opté pour une tactique probablement mûrie en amont, qui consistait à susciter la pitié chez ses coreligionnaires. Grave erreur. Le procédé s’était rapidement retourné contre elle : en lieu et place de l’indulgence attendue, chacune de ses interventions fut accompagnée d’un festival de grimaces circonspectes, agrémenté parfois de quelques piques ironiques portant essentiellement sur le côté gentiment obsolète de sa candidature. En gros, il ressortait de toutes ces simagrées que la présence de Geneviève constituait, en soi, un fashion faux pas impardonnable, et malgré ses regards de chien battus et le soutien actif de Christina qui avait trouvé sa tenue « magnifaïque », sa moyenne générale se limita à un « 3 » infamant.
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