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Face à la manifeste incurie des jeunes français en matière d’histoire littéraire, j’ai décidé de me lancer dans une nouvelle entreprise, que je qualifierai en toute modestie « d’intérêt public ». Ainsi je présenterai ici même la vie et les œuvres des plus grands auteurs français, dans un style alerte et vif, propre à retenir l’attention de nos chères têtes blondes, de coutume plus promptes à bavasser sur facebook que de s’immerger corps et âme dans la lecture d’un bon vieux Largardémichard.
Et qui d’autre choisir, pour inaugurer avec le faste qu’il convient cette prestigieuse série, que le grand Victor Hugo ? (à part peut-être Guy des Cars)
"Grâce à M. Chabossot, on va être fortes
en écrivain, c'est sensass !"
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J’ai reçu ce matin un mail très touchant, que je porte sans plus attendre à votre connaissance.
Monsieur Chabossot,
Je me permets de m’adresser à vous car la douceur de votre regard sur la photo qui orne votre blog me laisse à penser que vous êtes un ami des bêtes.
Je m’appelle Clément Houellebecq. Pour être tout à fait honnête, je m’appelle Clément tout court, mais si j’ai pris la liberté d’accoler à mon modeste prénom le patronyme de mon illustre maître, c'est pour que vous lisiez ma lettre jusqu’au bout (D’expérience, les gens n’accordent que peu d’attention aux propos d’un Clément, surtout si c'est un chien).
Michel m’a acheté dans un chenil de Seine-et-Marne en 1992. J’étais jeune à l’époque, un peu fou, et je me souviens que cette vitalité avait séduit mon futur maître, peu enclin pour sa part aux débordements euphoriques.
A cette époque, Michel était un gentil garçon employé comme informaticien au Ministère de l’agriculture. Le soir, pour se détendre de ses longues et harassantes journées, il écrivait des poèmes qu’il me déclamait ensuite d’une voie monocorde tandis que je regardais “Question pour un champion”. Globalement, je n’avais pas à me plaindre de mon existence; la gamelle était toujours copieusement remplie et j’avais même obtenu la permission de dormir dans le lit de mon maître, collé contre sa peau, certes flasque, mais tiède.
Un jour, Michel entreprit d’écrire un roman. Il attaqua bille en tête, avec à l’esprit une vague trame mettant en scène un lapin pourchassé par un fermier vindicatif. Le résultat lu à haute voix se révéla d’une part affligeant et d’autre part un sérieux obstacle à une écoute attentive de “Questions pour un champion”. Ayant réussi à le convaincre que sa prose ne valait pas un clou, je lui proposais, afin de recouvrer un peu de ma quiétude, de l’épauler dans sa tâche. Pour ne pas le vexer, je suggérais de garder le personnage du lapin, en l’incluant toutefois dans un cadre plus large incluant des personnages en butte aux affres de l’existence. Cela lui convenait, mais un problème se posa bien vite : autant il était intarissable sur les lapins pourchassés par un fermier vindicatif, autant il s’avéra sec face aux personnages en but aux affres de l’existence. Et c'est là précisément que je commis ma plus grosse erreur : je lui proposai d’écrire moi-même l’histoire, qu’il n’aurait plus qu’à signer en échange de quelques caresses sur le flanc et d’une marque supérieure de pâtée pour chien. Marché de dupe s’il en fut !
“Extension du domaine de la lutte” sortit en 1994, et les ventes, plutôt modestes au départ, permirent tout de même à Michel de s’acheter un duffle-coat tout neuf doublé en fourrure synthétique. Ayant pris bien vite goût à l’aisance matérielle - toute relative - que lui apportait cette nouvelle activité, il exigea de moi que je lui écrive un nouveau roman. Le joint de culasse de sa fuego ayant lâché, il était nécessaire, m’expliqua-t-il, que les ventes de ce nouvel opus soit à la hauteur de son ambition, c’est-à-dire acheter une nouvelle voiture, avec radio cassette incorporé, de préférence. Pour atteindre ce but, il me demanda d’inclure dans le roman de longs passages de sexe explicite, procédé contre lequel je m’insurgeai immédiatement. Après trois longs jours enfermé dans la salle de bain sans pâtée ni eau, j’acceptai finalement et me mis au travail. Michel tenait absolument à ce que l'histoire parle de deux frères (c’est un fan d’Igor et Grischka Bogdanoff), pour le reste j’avais carte blanche.
Je ne m’étendrai pas plus, vous connaissez le destin des “particules élémentaires”. Avec le succès de ce deuxième roman, mon sort était scellé. Je suis depuis l’esclave littéraire de Michel. Pour "la Carte et le territoire", j'ai fait des semaines de 50 heures, mes coussinets étaient en sang à force de taper sur le clavier et vous savez quoi ? Lorsqu’il a eu le Goncourt, cet ingrat ne m’a même pas rapporté un doggy-bag de chez Drouant !
C’est donc une bouteille que je jette à la mer en écrivant ce mail : faites passer la nouvelle, Monsieur Chabossot ! Sous ses airs d’Alain Bougrain Dubourg sous tranxène, Michel Houellebecq n’a que mépris pour les animaux. Pire, il les exploite pour son confort personnel (il possède également une perruche, Nini, qu’il oblige à chanter du soir au matin).
Qu’on vienne me libérer ! Je n’en peux plus !
Clément H
Ps : c’est également moi qui ai écrit “Ennemis publics”, la correspondance Lévy-Houllebecq, la partie de BHL étant assurée par un setter irlandais du nom de Gaston.
« Si je n’ai pas le Goncourt, je te jette par-dessus le balcon »
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Les écrivains en devenir voient généralement d’un sale oeil les donneurs de conseils, et sont prêts à tremper dans un bain d’acide tout inconscient qui oserait leur suggérer la moindre modification dans une prose assurément coulée dans le bronze.
Une anecdote récente tend à relativiser le bien fondé d’un position aussi radicale.Beaucoup d’entre vous connaissent probablement Raymond Carver, noveliste américain, réputé pour sa “sécheresse” d’écriture : les faits, rien que les faits, sans psychologie envahissante ni pathos échevelé.
En 1981, Carver sort un de ses plus fameux recueils, “Parlez-moi d’amour”, qui va rapidement rencontrer le succès, autant public que critique.
Cependant l’exhumation en 2010 de la version “originale” du livre va apporter un nouvel éclairage, totalement inédit et contradictoire, avec l’image de l’écrivain “minimaliste” que l'on connaissait jusqu’à présent.
Ce qui intrigue, tout d’abord, c'est la différence de pagination : 336 pour “Débutants”, 192 pour “Parlez-moi d’amour”. C’est qu’entre les deux versions s’est opéré un sérieux dégraissage. Carver aurait-il revu le manuscrit à tête reposée et de lui-même mis sa prose au régime sec avant publication ? La réponse est plus étonnante : un homme, Gordon Lish, éditeur de son état et à l’époque personnalité très écoutée du New-York littéraire, s’est occupé du travail, allant jusqu’à réduire de 78% le texte initial (dans la nouvelle “Où sont-ils passés, tous ?”, par exemple). En somme, il déshabille les textes de tous leurs oripeaux pour ne laisser que la structure nue. Que pense Carver d’un tel traitement ? Sa position est ambivalente. D’un côté il sait qu’il doit son succès à Lish, qui l’a soutenu à une époque où il était inconnu (et alcoolique). D’un autre, il ne se reconnait plus dans ses textes, et en ressent une véritable souffrance.
Quoiqu’il en soit, Carver a poursuivi dans la même veine jusqu’à la fin de sa vie. Il fut baptisé “Pape du minimalisme”, et il était mieux placé que quiconque pour goûter toute l’ironie induite dans cette appelation.
Donc, écrivain en devenir qui me lisez, vous savez ce qu'il vous reste à faire si votre grand tante suggère du bout des lèvres quelque menus remaniements dans votre grand oeuvre ?
Balancez-la sans plus attendre dans un bon bain d'acide !
Jusqu'à preuve du contraire, votre grand-mère n'est pas - et ne sera jamais - une personnalité très écoutée du New-York littéraire.
Pour se faire une idée, voici ci dessous un extrait de la version originale, suivie de la version de 1981.
"Ce soir-là, en rentrant du travail, Maxine, la femme de L. D., lui demanda de ficher le camp ; il était saoul une fois de plus, et il injuriait Rae, leur fille de quinze ans. Assis à la table de cuisine, L. D. et Rae se disputaient. Maxine n'eut même pas le temps de déposer son sac ni de déposer son manteau.
"Dis-lui, Maman, dis-lui de quoi nous avons parlé", lança Rae.
L. D. tournait son verre dans sa main mais ne buvait pas. Maxine lui lançait un regard féroce et déconcertant.
"Ne fourre pas ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien, dit-il. Je refuse de prendre au sérieux quelqu'un qui reste assis toute la journée à lire des revues d'astrologie.""
"Parlez-moi d'amour" ("Un dernier mot"), p. 181
"La femme de L.D., Maxine, le mit à la porte un soir après que, rentrant du travail, elle l'eut trouvé soûl une fois de plus et en train d'agonir Bea, leur fille de quinze ans. L.D. et l'adolescente étaient attablés à la cuisine et se disputaient. Maxine n'eut pas le temps de ranger son sac ni d'ôter son manteau. Bea dit, "Dis-lui toi, maman. Dis-lui de quoi on a parlé. Hein, que c'est dans sa tête ? S'il veut arrêter de boire il n'a qu'à se dire d'arrêter. Tout ça c'est dans sa tête. Tout est dans sa tête.
- Tu crois que c'est aussi simple que ça, toi ?" dit L.D. Il tourna le verre dans sa main mais ne but pas. Maxine l'enveloppait d'un regard féroce et déconcertant. "C'est des conneries dit-il. Ne viens pas mettre ton nez dans des choses auxquelles tu ne comprends rien du tout. Tu ne sais pas ce que tu dis. C'est dur de prendre au sérieux quelqu'un qui passe la journée à lire des revues d'astrologie."""Débutants", ("Un dernier mot")
Raymond "J'aurais dû écouter ma grand-mère" CarverSources : Le Monde du 23/09/10
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