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Pour attirer les faveurs d'un éditeur, inutile de faire comme si vous étiez voisin de squat. Simple question de bon sens : a-t-on déjà vu un éditeur habiter dans un squat ?
Hi mec !
Je kiffe trop grave ta boîte d’édition, mec, ma parole, les bouquins que tu publies, c’est que des trucs de malades qui déchirent leurs mères, j’hallucine total.
Dans l’enveloppe tu vas trouver mon roman. Attention, mec, ce que tu vas tenir entre tes mains c’est de la pure bombe atomique. Je l’ai écrit en huit jours, sous ecsta, je te raconte pas l’hallu ! Franchement, j’étais tellement déchireé que je peux même pas te dire de quoi ça parle exactement, mais c’est de la balle, tu peux me faire confiance.
Tout ce que je sais, c’est qu’il y a un héros qui s’appelle Vince, genre grand blond ébouriffé avec une balafre sur la joue, habillé en cuir noir, enfin tu vois le tableau. Et alors ce type, il lui arrive des trucs, mais tu peux même pas imaginer, des trucs mais graaaave de chez grave. Ah oui, ça se passe dans un futur cybernétique avec des bagnoles équipées d’ailerons qui flottent dans les airs grâce à des propulseurs (ouais, un peu comme des avions, quoi), tout le monde est obligé de bosser 160 heures par semaine et plus personne n’a le temps de regarder la télé et du coup ça entraîne une méga rébellion, parce que les gens sont grave gavés, tu comprends ?
Bon je te passe les détails, tu vas trouver tout ça dans le bouquin. Et sérieux, c’est pas pour me la péter mais je te dis que tu vas halluciner méchant en le lisant, ma parole !
Bon, je te laisse. Quand tu as fini, just call me sur mon cellulaire, c’est plus simple. On se fixe un rancart et on discutera du contrat autour d’un bon bédot chargé comme un boat people, ça va être l’éclate !
Shake, man !
Bob Duvergnon, alias Cyber Priest
Fuckyou et Asshole, les deux premiers lecteurs de Bob
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Monsieur,
C’est aujourd’hui votre jour de chance puisque vous avez en ce moment même l’incommensurable privilège de tenir entre vos mains mon manuscrit intitulé « Ovidé acariâtre, canidés belliqueux » (sous-titré « Le quotidien d’un facteur en Picardie »).
Autant vous dire que ce roman, que je porte en moi depuis mes débuts à la poste de Saint-Aubin-sous-Erquery, est l’œuvre de toute une vie.
Aussi que les choses soient claires dès le départ : en aucun cas je ne tolérerai que vos sales petites mains besogneuses changent ne serait-ce qu’une virgule à mon texte, comme cela se pratique usuellement dans vos douteuses officines.
Est-ce bien entendu ?
Concernant le contrat que vous aurez l’obligeance de me faire parvenir sous huitaine, notez bien que la répartition des bénéfices colossaux qui vont découler de la commercialisation de mon roman s’établira comme suit : 20% pour vous et votre petit personnel, le reste pour moi. Inutile de discuter, ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire la grimace, et vous ne me ferez pas croire qu’avec la sophistication des photocopieuses modernes, imprimer un livre coûte cher.
Si par bonheur votre décision est prise et que votre enthousiasme n’a d‘égal que votre empressement à me rédiger un contrat, sachez, cher Monsieur, que votre fortune est faite (et ce sera une bénédiction, quand on voit l’état de délabrement avancé qui accable votre société depuis des années).
En effet, je travaille actuellement à une suite d’« Ovidé acariâtre, canidés belliqueux » qui retracera avec l’inimitable faconde qui me caractérise mes pérégrinations postales dans la campagne picarde entre 1976 et 1981. Les millions de lecteurs qui auront acquis le premier tome ne manqueront pas de se ruer comme des mouches sur le second. (Il sera alors grand temps, je ne vous le cache pas, de réviser les conditions du contrat afin de réévaluer à sa juste valeur le travail qui est le mien.)
Maintenant, si dans je ne sais quel accès de démence sénile vous étiez amené à refuser mon livre, sachez que vous n’êtes pas le seul éditeur en France, et qu’à l’heure qu’il est nombre de vos confrères parmi les plus prestigieux, sont d’ores et déjà occupés à ourdir de sombres complots dans le fol espoir de me compter parmi leurs auteurs maisons.
Alors avant de me renvoyer une de vos lettres de refus standard, faites un peu preuve d’humilité et réfléchissez bien.
Votre dévoué,
Alfred Duchaussois
Alfred Duchaussois, le grand frisson garanti
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Un jeune ami à moi, fringuant chef de service dans une prestigieuse compagnie d’assurance, et heureux auteur d’un roman fraîchement sorti de son Macbook flambant neuf, m’a récemment demandé conseil sur cette fameuse lettre d’accompagnement jointe au manuscrit.
Ma réponse a été la suivante (vous remarquerez au passage l’aisance avec laquelle je m’exprime à l’oral) :
« Sachant que les lecteurs des maisons d’édition, dans la plupart des cas, ne passent que quelques minutes sur un manuscrit, vous pensez bien qu’ils ne vont pas, en plus, perdre leur temps à lire une longue tartine où le pauvre écrivain tente de démontrer tant bien que mal à quel point son roman est formidable, intéressant et novateur. Car si c’est le cas, le monsieur sera assez grand pour le découvrir par lui-même. Si ce n’est pas le cas, il réalisera très vite l’abîme qui sépare vos vantardises calligraphiées et la piteuse chose dactylographiée que vous lui soumettez. Ainsi vous vous couvrirez de ridicule, ce qui n’est jamais agréable, même à distance »
A ces propos, mon jeune ami s’est longuement massé le menton tout en soulevant le sourcil droit, puis s’est exclamé : « Dans ce cas, inutile de joindre une lettre !»
Eh bien ! Curieusement, si. Je sais que ça peut paraître curieux, voire un peu absurde, mais s’il n’y a pas de lettre, vous passerez pour un malpoli, un mal élevé, un arrogant pire que François Hollande : le manuscrit n’a pas encore été ouvert que vous êtes déjà mal barré.
La solution : faire court, pour ne pas lasser. Une dizaine de lignes tout au plus, où vous pourrez bien mettre ce que vous voulez (voir explication plus haut) dès lors que le propos est sensé et cohérent.
Erreurs à ne pas faire toutefois :
- Joindre un CV : ce serait catastrophique. Pensez-vous vraiment que votre CDD de 6 mois en tant que manutentionnaire au Carrefour de Pithiviers puisse intéresser un éditeur ? Ou que votre pratique de l’anglais, se situant à un « niveau scolaire » éveille en lui une quelconque étincelle d’intérêt ? Va-t-il être fasciné d’apprendre que durant vos heures perdues vous n’aimez rien tant que de taquiner le goujon en bord de Seine ?
La vérité est que tout le monde se fiche de votre cursus professionnel, ce qui compte, c’est l’écrit.- Joindre une photo : tout le monde se moque de savoir à quoi vous ressemblez. Et pour celles et ceux qui pourraient être éventuellement tentés de jouer sur leurs charmes naturels en glissant dans l’enveloppe une illustration avantageuse de leur anatomie, sachez que pour être édité, il n’existe pas de « promotion canapé ». Car, après quelques moments de félicité bien vite passés, devinez qui devrait se farcir les invendus de « Mes vacances dans le Cotentin » ?
- La liste des refus essuyés chez les éditeurs concurrents : si le but est d’attendrir, oubliez tout de suite : la pitié ne marche jamais en affaire. Et puis franchement, c’est un peu comme si un cuisinier en recherche d’emploi envoyait aux recruteurs la liste des clients qu’il a précédemment empoisonnés.
- Un synopsis : c’est une idée très à la mode chez les auteurs en devenir. Mais dans quel cerveau atrophié a-t-elle bien pu germer, je l’ignore. De grâce, ne confondons pas roman et scénario ! Depuis quand une histoire résumée sur quelques lignes peut laisser présager d’une écriture, d’un style, d’un souffle, d’une originalité ? Imaginez Marcel Proust envoyant le synopsis de A la recherche du temps perdu : « Le jeune Marcel se souvient de son enfance avec nostalgie. Une fois adulte, il fréquente des salons, rencontre des gens variés. Des histoires d’amour se nouent, parfois ». Et pourquoi pas un « pitch », pendant qu’on y est ?
- Deux bons de réduction pour Euro Disney : on n’achète pas un éditeur.
- Des menaces à peine voilées : un éditeur n’a peur de rien.
Et soignez votre écriture, pas comme ce cochon de Marcel.
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David et Jonathan au temps de leur splendeur: un look décontracté
qui n'oblitère en rienla finesse de l'analyse et le sérieux de la réflexion.Une pensée audacieuse et tendre
Le petit monde de la philosophie est régi par un ensemble de règles strictes auxquelles il est de bon ton d'adhèrer. Par exemple: la pensée d'un philosophe ne doit résulter que de l'activité d'un seul cerveau: la solitude est le lot du penseur.
On comprend pourquoi l'arrivée de David et Jonathan sur la scène médiatique a provoqué un tel électrochoc : non content d'être jeunes, beaux et talentueux, ils étaient aussi deux. Leur pensée s'est ainsi construite à une rapidité sidérante: lorsque David argumentait, Jonathan contre argumentait, les idées novatrices pleuvaient en une affolante cascade lumineuse et un dictaphone n'était pas de trop pour recueillir un tel feu d'artifice créatif.
L' extraordinaire confrontation de ces deux personnalités hors du commun a produit, tels les deux silex que l'homme des cavernes frottaient entre ses deux mains rugueuses, les étincelles d'une pensée novatrice et le feu ainsi allumé éclaire et guide encore, bien qu'ils s'en défendent, les grands esprits de notre époque (Bernard Henri Lévy, Arlette Chabot et, à l'évidence, Jean Marc Morandini).
Un parcours météorite
Ce bouillonnement d'idées est perceptible dès leur premier 45 tours, "Bella vista"; qui sort en 1987. Le ton est immédiatement donné : loin de toute pensée nihiliste qui restreint trop souvent le champ de la réfléxion, David et Jonathan prônent un édonisme sans faille gorgé des rayons langoureux d'une Italie idyllique où les pizzas sont toujours copieuses et le chianti all dente.
Leur message remportent très vite l'adhésion d'une France avide de réfléxion intelligente et de joie de vivre. Fort de leur succès, ils enchaînent dès 1988 avec "Gina", une douce roucoulade que n'aurait pas reniée Nietzche s'il avait écrit des chansons. Cependant dans le concert de louange certaines petites voix discordantes se font entendre: on les accuse en termes à peine voilés de "se répéter", voire de "tirer sur la ficelle d'une formule facile". Mais David et Jonathan s'en moquent: ils ont une oeuvre à construire, et quelques jaloux mal intentionnés n'arriveront pas à les détourner de leur tâche.
Analyse d'un chef-d'oeuvre
1989 sera l'année du triomphe absolu en même temps qu'une réponse cinglante aux détracteurs de tous poils avec ce qui reste leur chef-d'oeuvre absolu mais aussi, hélas, leur testament : "Est-ce que tu viens pour les vacances?"
T'avais les cheveux blonds
Un crocodile sur ton blouson
On s'est connu comme ça
Au soleil, au même endroitEn deux vers admirablement troussés, les deux penseurs nous dépeignent avec une économie de moyen remarquable leur idéal féminin. Usant de l'ellipse avec un talent qui leur est propre, David et Jonathan nous laissent supposer qu'il n'existe pas plus belle fille que celle qui porte négligement posé sur l'épaule un crocodile de 5 métres de long. Il s'agit en réalité de ne pas tomber dans le piège: on parle ici en vérité du petit reptile cousu à même le tissu d'une marque bien connue et qui sert en quelque sorte de signe de ralliement aux personnes ayant un idéal commun de luxe et de beauté.
Les deux derniers vers exposent avec éclat une vérité trop souvent passée sous silence (et source de nombreuses mésententes) : pour faire connaissance, d'un point de vue visuel et ultérieurement charnel, il faut impérativement être au même endroit (et accessoirement au soleil, comme ça on voit mieux à qui on a à faire).
T'avais des yeux d'enfant
Des yeux couleur de l'océan
Moi pour faire le malin
Je chantais en italienIl a été prouvé statistiquement ( séminaire de Boston - 1978 - communication de Whales et Hoggart) que les yeux d'enfants sont à 78,09 %, couleur d'océan. Nos deux amis ne pouvait pas ignorer cette avancée décisive de la recherche. Mais on constate surtout avec quelle humilité il glisse subrepticement l'information dans leur texte. L'observateur sérieux ne s'y trompe pas : sous ces allures faussement frivoles, c'est la marque des grands penseurs qui transparaît avec éclat.
Lorsque l'on connaît leur parfaite maîtrise de l'italien, on ne peut s'empêcher d'esquiiser un sourire à la lecture des deux derniers vers : David et Jonathan n'on rien à apprendre d'un Umberto Ecco et leur modestie se transforme ici en élégante pirouette.
Est-ce que tu viens pour les vacances
Moi je n'ai pas changé d'adresse
Je serai je pense
Un peu en avance
Au rendez-vous de nos promessesTous les ans, nos compères réservent un petit studio sur la côte normande où ils ont leurs habitudes, où ils se sentent bien, comme chez eux. C'est toujours avec bonheur qu'ils retrouvent les croissants au beurre de Madame Dubois, la boulangère, les côtes de porc de Monsieur Bernard, le boucher et le sable fin de cette petite plage dont nous tairons le nom pour préserver leur intimité. Et tout ça pour 525 euros les deux semaines, charges comprises, franchement ça serait dommage de se priver. C'est dans cette petite station balnéaire au doux parfum d'autrefois qu'ils ont rencontrés l'année passée l'Idéal Féminin (celle avec le crocodile sur le blouson) et ils aimeraient bien la revoir, ça se comprend. Ils seront sans doute un peu en avance car leurs vacances commencent la dernière semaine de juin et la saison n'est pas vraiment commencée.
Je reviendrais danser,
Une chanson triste, un slow d'été
Je te tiendrai la main
En rentrant au petit matin
C'que j'ai pensé à toi
Les nuits d'hiver où j'avais froid
J'étais un Goéland
En exil de sentimentsDavid et Jonathan nous décrivent leur vacances de rêve avec la fille au croco : un slow qui dure jusqu'à 5 heures du matin (nous sommes dans le domaine du fantasme, rappelons-le) puis rentrer dans leur studio en tenant la main de l'être sublime - et prendre congé dans la cage d'escalier, car nos deux philosophes, malgré leur apparence d'irrésistible séducteur, sont avant tout des gentleman qui savent se tenir.
Mais bientôt on s'écarte du rêve pour se remémorer de douloureux souvenirs d'hiver : la chaudière en panne, le froid qui pénétre les os, la buée qui sort de la bouche et s'envole au plafond. Au milieu de cette situation désespérée, une image s'impose à l'esprit : celle du goêland en exil de sentiments. Nous avons eu l'occasion, lors du visionnage d'un fort intéressant documentaire du Nationnal Geographic, d'observer un goêland en exil de sentiments. Eh bien, c'est pas joli à voir.
Pour conclure, l'histoire ne dit pas s'ils se la sont faite, la fille au croco. Ou est-ce que David besognait la bougresse tandis que Jonathan, planqué dans l'armoire à linge, n'en perdait pas une miette ?
Incertitude de la philosophie...
"Sont-ce des chemises blanches à rayures noires
ou des chemises noires à rayures blanches ?" semblent-ils nous interpeller.
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